Archive for août 2010

John Cale a un secret

26 août 2010

Bronze Horse – Bronze Horse (Oakhill Records, 2010)

12 août 2010


Je n’achète jamais un album d’un artiste inconnu, sans l’avoir écouté, uniquement sur les conseils d’un site de vente en ligne ; qui plus est si celui-ci a un fort penchant pour la musique expérimentale bruyante et débridée.

La seule exception à la règle, autant que je m’en souvienne, fut cet album que Volcanic Tongue avait vivement recommandé, le comparant au passage à Jack Rose, Ilyas Ahmed et John Fahey. Ma curiosité était définitivement piquée. Le pari était risqué mais disons le d’emblée, l’album est magnifique.

Dans un premier temps je n’ai pas su quoi penser de Bronze Horse. Etait-il un autre bon album de guitare acoustique dans la veine de l’école Takoma, ou était-il autre chose, quelque chose de plus spécial ? A force d’écoutes je me suis rendu compte de sa richesse et de sa singularité.

Etrangement il m’avait dans un premier temps paru bien sombre. Joseph Ghosn alla même jusqu’à le qualifier de sépulcral et cela m’avait paru assez juste. En revanche aujourd’hui j’aurai tendance à réviser mon jugement et à effectuer une forte distinction entre les faces A et B.

La première face possède une douceur rassurante, radieuse. Les mélodies nocturnes et mystérieuses irradient une joie sereine. Elles ont un goût de miel, elles dégagent une chaleur ambrée. Zachary Hay tisse à l’aide de ses guitares, un cocon accueillant et rassurant.

Il en est tout autrement de la deuxième face qui s’ouvre par un morceau entièrement joué au piano. Décharnées et sur un fil du rasoir, les notes sont égrainées lentement. Le morceau baigne dans une pâleur lunaire. Il distille une mélancolie hivernale, une beauté blafarde de morne dimanche passé à regarder tomber la neige.

La suite est aride et c’est ici que je rejoins joseph Ghosn sur l’utilisation de terme sépulcral. Le jeu de Zachary Hay se fait plus tranchant, plus perçant, plus acéré. Les doigts cognent sur la guitare. Au fil des compositions, les silences et les pauses prennent une importance accrue. Les notent résonnent et se perdent dans un vide glacial.

Il n’y a cependant rien d’ascétique ou de contemplatif ici. La musique de Zachary Hay possède une force brute. Pas de pureté raffinée, pas de minimalisme maniéré mais une rugosité, une sécheresse vrillée. Il y a quelque chose de primitif dans l’imperfection du jeu. Zachary Hay joue les mélodies comme s’il les découvrait pour la première fois. Il les ressasse de manière obsessionnelle. Il rejoue deux ou trois notes encore et encore jusqu’à en épuiser toutes les nuances, jusqu’à en capter l’essence, en extirper le sens profond.

Bronze Horse est un album extrêmement riche qui ne se livre qu’au fil des écoutes. Il oscille entre le chaud et le froid. Il enchante et il effraie. Dans les deux cas, il me fascine.

Fursaxa – Myriad of Satyrids (autoproduit, 2006)

12 août 2010

Ce modeste CDr, joliment confectionné par Fursaxa, est l’un de mes plus grands chocs musicaux de ces cinq dernières années. Le premier morceau est à lui seul un monument. Quand je l’ai découvert en 2007 j’en suis resté bouche bée.

Beyond The Psalter, Lunaria Enters The Blue Lodge Ringing The Bells Of Capistrano Under A Canopy Of Moons est un long mantra, une longue dérive de plus le 20 minutes à l’intensité presque religieuse. Fursaxa, utilise sa voix comme un instrument. Elle l’enregistre, la déforme et la superpose en couches mouvantes. Le résultat est un ressac fantomatique, dont la puissance et l’intensité subjuguent. Elle introduit ensuite des flûtes, des cloches, des percussions, du dulcimer et de l’orgue. L’effet est hypnotique. La musique est capiteuse, elle enivre. Ce morceau à l’ambiance nocturne laisse l’auditeur face à ses peurs et ses fantasmes. Il nous plonge dans un monde régi par les mythes et les légendes. Un monde peuplé de mystères et d’inconnu. Je ne peux cesser de m’imaginer seul dans une forêt, la nuit, par un froid glacial, les arbres noirs et menaçants seulement éclairés par la lumière spectrale de la lune, des bruissements des créatures invisibles autours de moi et la musique de Fursaxa résonnant comme un appel lointain, irrépressible et terrifiant.

Les deux autres morceaux sont tout aussi splendides. Sur Ingesting Una De Gato, Fursaxa chante avec plus de ferveur que jamais. C’est un cantique extatique. La vertigineuse montée de larsen vous transperce l’âme et vous laisse pétrifié.

Absconding To Tuvalu, comptine illuminée que Fursaxa interprète en s’accompagnant seulement d’un orgue, clôt paisiblement l’album. C’est une lueur d’espoir après tant de tourments et d’intensité.

Tara Burke est une prêtresse, un chamane. Au fil des albums elle poursuit sa quête spirituelle et nous fait partager ses visions hallucinées. Myriad Of Satyrids est l’un des sommets de sa discographie, un album ardant et foudroyant.

Ducktails – Ducktails (Not Not Fun, 2009)

10 août 2010

Encore plus alangui que Landscape, qui paraîtra quelques mois plus tard, cet album éponyme sorti chez Not Not Fun est gorgé de soleil. Ses sonorités rêveuses et chaleureuses massent les synapses. Elle font irrémédiablement naître des images de palmiers, d’océan et de couchers de soleil. Elles promettent l’été éternel chanté par les Beach Boys et déconstruit par Fennesz. Comment d’ailleurs ne pas voir un hommage au groupe de Brian Wilson quand on décide d’appeler certains morceaux Surf’s Up et Friends ? Matthew Mondanile partage avec ce dernier un certain sens de la naïveté et de l’insouciance juvénile. La production lo-fi et l’instrumentation cheap en soulignent la fragilité. Fragilité, mais pas faiblesse car les partis pris esthétiques sont maîtrisés de main de maître et la production faussement maladroite possède une incroyable puissance évocatrice. Difficile de ne pas se laisser absorber par les sonorités chaudes et enveloppantes de Surf’s Up, et de ne pas se remémorer les souvenirs heureux, les instants fugaces de notre enfance. Un sourire, une odeur, le goût de la menthe à l’eau.

La vision de Matthew Mondanile est pleinement cohérente et il transcende à sa façon la technologie, aussi rudimentaire soit-elle. Il l’utilise pour retrouver les sons d’une autre époque et faire ressurgir des sentiments familiers et rassurants. Il le fait de manière pertinente, les pieds solidement ancrés en 2009, mais avec un regard bienveillant tourné vers le passé, sans jamais chercher à l’imiter de manière stérile. A ce petit jeu il est le plus touchant.

A chaque écoute je revis la douceur tranquille d’une fin d’après midi ensoleillée de quand j’étais adolescent.

Le site MySpace de Ducktails est  ici

Je découvre à l’instant

9 août 2010

Les vidéos Vodpod ne sont plus disponibles.

Dunes sur MySpace Music – Ecoute gratuite de MP…, posted with vodpod

Sun Araw – Beach Head (Not Not Fun, 2008)

7 août 2010

Je n’ai pas été acquis à la cause Sun Araw (aka Cameron Stallones) tout de suite. Je ne savais pas très bien quoi en penser. Un truc de snob ? Quelque chose de vraiment excitant avec une vraie vision personnelle ? Un pas de côté pour mieux regarder dans le rétroviseur de manière nouvelle ? Un pas de côté pour faire du branchouille décalé ironique ? C’est quoi ce son bizarre ? Ca cache quoi ? Un manque d’idée ? Qui essaie-t-on d’enfumer ? C’est quoi cette casquette et ces moustaches ?

Parfois il faut du temps pour faire le tri entre le hype novateur qui suscite l’intérêt à juste titre et le hype fumeux, poudre aux yeux, dont au final on se lasse assez vite. Je n’aime pas me faire avoir, je suis sur mes gardes, je reste vigilant.

En ce qui concerne Sun Araw, j’ai mis du temps mais j’ai choisi mon camp. J’aime. Cet album dégage un psychédélisme moite. Il aurait pu, d’une certaine manière, être la B.O. alternative d’Apocalypse Now si le film avait encore plus baigné dans le LSD. La musique à quelque chose de suffocant, elle évoque la jungle, dense, humide, noire, propice aux hallucinations. La seule exception notoire est Horse Steppin’, l’enthousiasmant deuxième morceau de la première face. Il fait ici figure de single, de titre pop à haute teneur en THC. C’est la plage ensoleillée en bordure de la forêt tropicale. Horse Steppin’ plonge l’auditeur dans une léthargie totale, impossible de lever le petit. Le moindre effort est surhumain, on ne peut que rester là, allongé sans rien faire, accablé par un soleil de plomb. Le rythme comateux et obsédant suggère aussi bien la chaleur écrasante que les abus de drogues douces. On se laisse bercer et emporter par le flot hypnotique que seuls transpercent quelques accords d’orgues électriques et des parties de guitares acidulées.

La face B est un long voyage psychédélique, langoureux et sensuel, mais toujours inquiétant. La musique de Sun Araw, on ne l’écoute pas, on s’y prélasse. Elle vous enveloppe comme un voile chaud. Il faut se laisser aller, perdre le contrôle et elle vous emportera vers des contrées plantées de palmiers et peuplées d’hommes et de femmes aux faciès étranges, ornés d’or et de couleurs vives. La peur ne sera pas totalement absente du voyage. Les paysages seront parfois surréalistes et les coutumes terrifiantes. La brume recouvrira le soleil et une pénombre étouffante enveloppera toutes choses mais vous arriverez toujours à bon port, sain et sauf, le sourire aux lèvres, un peu engourdi mais ravi, prêt à regarder subjugué, l’explosion finale au napalm.

Blind Willie Johnson – Dark Was the Night (1927)

7 août 2010

Il y a 8 ans dans un supermarché j’achetais un coffret regroupant des enregistrements de blues datant des années 2O à 5O. Les triomphes du Blues comporte 20 CD thématiques, plus de 500 morceaux, presque 24 heures de musique et un livret explicatif plutôt clair et bien foutu pour moins de 15 euros. Qui dit mieux ?

Malgré le son pas vraiment hi-fi compte tenu de l’âge des morceaux, je découvrais émerveillé tous ces bluesmen connus ou inconnus qui avaient inspiré toutes mes idoles du moment : les Rolling Stones, les Doors, Bob Dylan, Led Zeppelin…

Je découvrais ébahi les versions originales des chansons que je connaissais reprises par d’autres. J’en mesurais et j’en savourais l’importance historique. J’avais l’impression de plonger dans l’Histoire et d’en extraire des trésors tel un archéologue heureux.

Inutile de vous dire que je ne suis pas encore arrivé au bout de ce coffret copieux et varié. Je n’ai pas encore tout écouté.

J’y replonge une fois de plus et je redécouvre ce qui m’avait échappé les fois d’avant, en l’occurrence Blind Willie Johnson.

Pour me rassurer je me dis que je n’avais pas dû écouter ce CD intitulé Gospels et Evangelists, pas super bandant comme thème quand on a 21 ans, sinon c’est à n’y rien comprendre. Comment ai-je pu passer à côté de ça ? Il n’y a que 4 titres de Blind Willie Johnson sur la compilation, mais quels titres !

Le premier, Dark Was The Night, est tout simplement stupéfiant. C’est une vie d’homme qui est condensée en quelques minutes. Une vie d’homme qui a vécu des heures sombres et qui a vu des choses qu’il n’aurait pas du voir mais qui garde l’espoir parce que la vie est plus forte que tout. Tout cela, Blind Willie Johnson nous le transmet avec sa guitare fantomatique, sans mots, il n’y a pas de mots pour cela, simplement des lamentations, des plaintes, belles et déchirantes.

Sur les morceaux suivants il chante d’une voix incroyable. Rocailleuse, âpre, rugueuse. It’s Nobody’s Fault But Mine (reprise par Led Zeppelin), Mother’s Children Have a hard Time et God Moves on The Water, il les joue seul à la guitare, de façon brute et puissante. C’est à peine croyable.

Un des trucs les plus foudroyants et extraordinaires écoutés récemment et pourtant enregistré en 1927.

James Blackshaw – The Cloud of Unknowing (Tompkins Square, 2007)

6 août 2010

Peu de choses sont aussi belles que la musique de James Blackshaw et The Cloud Of Unknowing en est l’absolue quintessence.

Le premier morceau qui donne son nom à l’album est magnifique. Avec une dextérité et une virtuosité incroyable, Blackshaw invente des mélodies célestes, des arpèges cristallins, et accouche d’une musique à la fois complexe, subtile et qui sonne comme une évidence.

Running To The Ghost, est tout aussi splendide. Des arrangements des cordes délicats et des tintements de cloches légères comme des fleurs de muguet viennent orner les compositions. C’est de toute beauté. Un jour on en parlera comme de Five Leaves Left .

Clouds Collage est plus expérimental et rappelle l’univers de Lau Nau et Kuupuu en moins tourmenté, quand les demoiselles lorgnent vers la musique japonaise.

The mirror Speaks est plus « brut ». Les cordes claquent, le rythme est plus franc, plus haché. On s’aventure sur les terres arides et oniriques de John Fahey. Des fantômes rodent entre les effluves de marijuana et de whisky.

Le dernier morceau de l’album, Stained Glass Windows, est plus européen. Les verts pâturages anglais sont plus présents. Je ne sais pas trop pourquoi mais je pense également au raffinement de la musique de la Renaissance (enfin pour ce que j’en connais…). Quelque chose ici défie le temps. La musique resplendit. Elle possède une délicatesse, une finesse, une grâce que rien ne peut altérer pas même le final incroyable, atonal et fantomatique que Blackshaw se paye même le luxe des construire à base de stridences et de cordes frottées.

La diversité des influences est prodigieuse mais le génie de Blackshaw réside dans sa manière unique et très personnelle d’en réaliser la synthèse. Sa musique élève, elle vient du haut. Elle est lumineuse. Elle transperce.

Un des grands albums des années 2000.

Son site MySpace est ici

R.L. Burnside – A Ass pocket of Whiskey (Fat Possum, 1996)

6 août 2010

J’ai découvert cet album, collaboration entre le vétéran R. L. Burnside et les très agités John Spencer Blues Explosion, par le plus grand des hasards, grâce à Goin’ Down South sur une compilation offerte avec le magazine Rocksound. Le rythme lourd et obsédant ainsi que le son plus gras et crade que toute la boue du Mississippi, m’avaient instantanément séduit. Je précise qu’à l’époque Seattle était ma terre sainte, qu’aucune musique sans guitare ne valait la peine d’être écoutée et qu’une guitare non saturée n’avait aucune raison valable d’exister.

J’étais un peu à la masse [à l’époque] et ma perception de l’univers musical était quelque peu distordue et comique avec le recul. Je m’étais étonné que quelqu’un fasse un album de blues en 1996. Le genre était mort des décennies auparavant non ? J’étais pourtant sûr qu’il s’était éteint dans les champs de coton avec les derniers esclaves noirs… Bref, j’avais trouvé l’acte très courageux et louable puisque plus personne ne se souciait du blues et qu’ils n’arriveraient jamais à vendre ce disque. Qui pouvait bien acheter un tel album en plein milieu des années 90 ?

Moi pardi ! Défenseur de la veuve et de l’orphelin, oubliés et piétinés à mort par la méchante industrie du disque qui ne pense qu’à faire du fric en sortant des trucs commerciaux vilains pas beaux et qui voudrait empêcher les vrais artistes de vivre et de faire de la musique [je vous avais dit que j’étais à la masse].

J’avais acheté l’album dans la foulée en espérant très fort qu’il serait du même acabit que Goin’ Down South. Je n’ai pas été déçu. A Ass Pocket of Whiskey regorge de riffs tueurs. Le son est chaud, sale et puissant, gorgé de testostérone, parfait pour mes hormones en ébullition d’adolescent de 15 ans.

Les morceaux sont envoyés pied au planché. Boogie Chillen (méconnaissable) de John Lee Hooker et Poor Boy (étrangement crédité Burnside / Explosion) de Howlin’ Wolf sont excellents. Shake Drive, quasi punk, sent l’urine et la bière. Shake ‘em On Down et The Criminal Inside Me sont hypnotiques.

Seules deux chansons m’avaient à l’époque parues plus difficiles d’accès : Walking Blues, blues stellaire passé à la moulinette no wave et Have You Ever Been Lonely, tonitruant blues bruitiste traversé de déflagrations sauvages et électriques. Ce n’est pas que je ne les aimais pas. C’était juste que je ne savais pas trop quoi en faire. Elles ne coulaient pas de source, elles n’avaient pas l’évidence des autres morceaux. Elles m’intriguaient cependant et je trouvais qu’elles apportaient à l’album un côté expérimental et malsain, voire même dangereux qui lui donnait une épaisseur supplémentaire. Maintenant je les aime autant que les autres.

Je réécoute aujourd’hui cet album avec bonheur et je me dis qu’il n’a pas pris une ride.