Archive for décembre 2010

Nirvana – Unplugged (Geffen, 1994)

20 décembre 2010

Je n’ai jamais vraiment regardé MTV. Je n’ai jamais reçu la chaîne. Les seules fois où j’ai pu y jeter un œil c’était chez un copain dont les parents étaient abonnés à un bouquet satellite. Ce que j’ai pu en voir m’avait paru assez pathétique. C’est vraiment surprenant que ce live soit le produit d’une telle chaîne. Il est l’antithèse absolu de tout ce que MTV m’inspire.

J’avais tout juste 13 ans quand ce concert a été enregistré. Charles-Louis le mec cool de ma classe m’avait expliqué que unplugged était un jeu de mot, que ça voulait dire débranché alors que bien sûr Nirvana était un groupe branché. Je sais aujourd’hui que ce n’est pas tout à fait exacte mais le point de vue n’est pas inintéressant et non dénué de charme. Il est vrai qu’écouter Nirvana à l’époque c’était être à la mode.

Avec le recul j’ai du mal à réaliser que ce groupe que moi et des millions d’autres ados lambda pouvions écouter à la radio soit devenu à ce point une icône. Ça écoute quoi aujourd’hui un ado de 13 ans ? C’est peut être la dernière fois que cela s’est produit dans le rock.

C’est aujourd’hui aussi que je réalise que ma petite histoire a croisé la grande. A peine quelques années plus tard, alors que je découvrirais émerveillé les groupes des années 60, je me lamenterais de ne pas avoir eu 20 ans en 1967 et de ne pas avoir connu Woodstock. Je me disais que cela avait dû être merveilleux d’avoir connu et écouté tous ces groupes cultes de leur vivant. Je ne réalisais pas que :

  1. Peu de personnes en France les écoutaient. Claude François était bien plus populaire.
  2. C’étaient juste des groupes, pas encore des icônes. Des groupes parmi tant d’autres, juste un peu meilleurs.

Je ne réalisais même pas que j’avais fait avec Nirvana l’expérience que j’aurais voulu faire avec les Doors. J’ai écouté Nirvana en vivant de manière insouciante l’instant présent, sans me poser trop de questions. Pourquoi aurais-je fait différemment en 1967 ?

Plus j’écoute Nirvana, plus je réalise à quel point c’était un groupe incroyable. Je me rends compte également que leur musique a résisté à l’épreuve du temps. Je n’aurais pas forcément parié sur eux à l’époque et pourtant tout ce pour quoi je me suis passionné n’a malheureusement pas aussi bien vieilli.

On a fait de Kurt Cobain un martyr et une icône. Le dernier en son genre. Tout cela n’est qu’une posture de journalistes pour impressionner les foules, pour pouvoir utiliser des raccourcis et des phrases toutes faites, pondre des titres racoleurs. Ce live nous rappelle que Kurt Cobain était avant tout un homme. Cet album est une plongée dans son intimité. Un cadeau de Kurt Cobain envers ses fans. Sur les 14 titres seuls 8 sont des compositions du groupe. Des esprits chagrins, des fâcheux, avaient commenté à l’époque que c’était parce que les chansons de Nirvana ne tenaient pas la route en version acoustique, que le dépouillement ne faisait que révéler le simplisme de ces quelques accords enchaînés. Faux. Ils n’ont rien compris. Cet album n’est pas un simple live durant lequel un groupe vient jouer ces morceaux pour ravir son public. C’est une page arrachée d’un journal intime, une plongée dans l’univers personnel des musiciens. Ils interprètent ici les chansons qu’ils aiment et invitent leurs potes à venir chanter avec eux. De quel plus beau cadeau peut on rêver ? Quel autre disque peut rivaliser avec celui-là sur ce point? La bande à Kurt Cobain n’est pas là pour interpréter ces tubes devant un public transi, ils sont là pour partager. Il n’est plus ici question de rock. On se rapproche plus d’une certaine idée du folk ou des musiques folkloriques ; de leur idéologie de la transmission et du partage des chansons, de chanteurs à chanteurs, et de chanteurs au public. C’est pas un boulot, y’a pas de copyright, juste le plaisir de partager.

Nirvana nous prouve ici qu’ils sont bien plus qu’un simple groupe pour adolescent frustrés. Les musiciens possèdent plus d’une corde à leur arc et sont capables de totalement réinventer leurs propres compositions comme About a Girl, le titre d’ouverture qui gagne ici en évidence et rayonne du début à la fin, alors que la version originale paraissait assez anecdotique sur l’album Bleach. Même les titres emblématiques tels que Come As You Are trouvent une nouvelle jeunesse avec une facilité déconcertante.

Le groupe prouve aussi que sa palette sonore et son jeu sont bien plus riches et subtils que la saturation à outrance et les accords rageurs. Pas mal de fans ont dû être déconcertés par l’accordéon de Jesus Doesn’t Want Me for a Sunbeam, magnifique reprise des Vaselines. De même la cohésion des musiciens sur The Man Who Sold The World est juste ahurissante et ils transcendent littéralement la chanson de David Bowie.

Pour trois titres ils invitent les Meat Puppets à venir jouer leurs morceaux avec eux : Plateau, Oh Me et Lake of Fire. Sacré coup de pouce. Les trois titres sont touchés par la grâce et n’ont pas à pâlir face au reste de l’album. La complicité entre les deux groupes est évidente.

Mais le plus grand joyau de l’album est sans l’ombre d’un doute la voix de Kurt Cobain. Elle n’aura jamais été aussi bien mise en valeur qu’ici. Elle n’aura jamais été aussi belle tout simplement. Est-il possible de ne pas frissonner à l’écoute de Pennyroyal Tea ?

On mesure ici l’étendue du gâchis que représente la mort de Kurt Cobain. Quand on voit à quelle vitesse le groupe a mûri et à quel degrés de maîtrise il arrive ici on ne peut que fantasmer sur ce qu’il aurait pu devenir. L’ultime morceau de l’album, Where Did You Sleep Last Night, chanson traditionnelle reprise par tous les bluesmen et popularisée par Leadbelly, n’en est que plus cruel. Il révèle que Kurt Cobain aurait pu être un gigantesque chanteur de blues. Et je me mets à rêver d’un album de Nirvana rempli de reprises aussi stellaires que celle-ci, de blues et de folk âpres et rugueux comme la voix de Kurt Cobain, ou de duos avec Neil Young.

Regrets éternels.

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Eleh – Location Momentum (Touch, 2010)

13 décembre 2010

La première fois que j’ai entendu Eleh je n’ai pas très bien compris. On aurait dit un gars qui se serait endormi sur son synthé, les touches enfoncées sous le poids de son visage produisant un son presque constant à peine modulé par les soubresauts d’un sommeil agité. Dommage la pochette était très belle et me faisait vraiment envie.

Le temps a passé et j’ai vu Eleh débarquer sur Touch par intermédiaire d’un split avec Nana April Jun. Je suis un peu surpris tant je tiens ce label en très haute estime. Une nouvelle fois je tente donc ma chance, mais non décidément ce n’est pas pour moi.

Début 2010. Touch persévère et sort le premier album CD de Eleh (tous les autres sont gravés sur vinyle). La pochette est sublime, mais je ne tiens pas à être déçu une nouvelle fois. Je prends note mais passe mon chemin. Cela ne ne sert à rien de s’acharner, ce n’est pas encore le bon moment.

Septembre 2010, je me sens d’attaque. J’ai fait une cure de drone et de musiques électro-acoustiques. Je suis remonté à bloc, rien ne me fait plus peur (je fanfaronne, là bien entendu.). Je me lance. Bingo ! Tout vient à point à qui sait attendre.

Dire que la musique d’Eleh est minimaliste est un doux euphémisme. L’autre jour j’écoutais l’album dans ma cuisine. Mon beau frère rentre et commence à secouer le frigo.

– « Dis donc, il fait vachement de bruit ton frigo.
– Non, c’est pas le frigo… »

C’était Heleneleh, le premier titre de Location Momentum. 20 minutes de drone profond à peine mouvant. Alors bien entendu aucun frigo au monde ne fera jamais une musique aussi splendide qu’Eleh, mais pour une oreille non entrainée c’est du pareil au même. Impossible d’entendre toutes les nuances, impossible de distinguer toutes les couches qui constituent un son à priori unique et homogène.

Heleneleh est comme un son tendu et vibrant composé d’une multitude de notes mouvantes. Un flottement qui s’étire. Le temps suspendu, rendu audible. Imaginez la puissance d’une éruption volcanique au ralenti, les Toccata et Fugue en Ut et Ré mineur de Bach étirées sur 1000 ans. On est hypnotisé sous l’emprise de cette ligne de son vibrant. On se perd dans ses strates et ses épaisseurs. Malgré l’apparente immobilité, la musique n’est jamais statique. Elle possède une force, un poids qui toujours l’entraîne. Elle avance inexorablement. Elle est une masse oscillante,un fleuve lourd et puissant à l’apparente tranquillité. Ce n’est qu’à la fin du morceau que l’on mesure le chemin parcouru. Eleh en modifiant brutalement les hauteurs condense en quelque secondes ce qu’il/elle (personne ne sait si ce personnage mystérieux est un homme ou une femme. On ne sait rien de lui) avait mis plusieurs minutes à édifier.

Les pulsations grondantes de Linear to Circular / Vertical Axis font figure d’entre-mets. Sur un peu plus de 2 minutes elles déferlent toujours semblables mais jamais identiques. Chaque nouvelle vague est légèrement différente de celle qui la précède et le cycle des transformations pourrait se répéter à l’infini.

Sur Circle One: Summer Transcience, on se rend compte qu’en dehors de l’aspect ascétique de cette musique, les sons les plus graves semblent tout droit sorti du règne organique, depuis le ronronnement d’un chat jusqu’au bruit du sang qui pulse dans nos veines. L’hypnose nous guète. Les pulsations laissent ensuite place à un bruit sourd assez semblable à celui d’ une mer grondante, qui bascule d’une enceinte à l’autre.

A l’écoute de Observation Wheel je pense aussi parfois à une sorte de version mutante du Music for Airports de Brian Eno. Mais là où Eno privilégiait les teintes légères et diaphanes, Eleh mise en revanche sur les tons sombres et puissants. Il y a quelque chose ici de la dramaturgie des œuvres les plus sombres de Rothko.


Mark Rothko, ‘Black on Maroon’, 1959

Rotational Change for Windmill a tout à voir avec l’idée que je me fais de l’épilepsie. C’est certainement le morceau le plus pénible à écouter de l’album. Les fréquences sur-aiguës déchirent les tympans. Le rythme des bips stridents et les vagues de bruits blancs semblent tout spécialement dessinés pour vous faire perdre tout repères et induire un état second, quitte à vous faire vomir s’il le faut. Ce n’est pas Eleh qui nettoiera de toute façon, il/elle s’en fout. Quand les bips disparaissent nous sommes laissés seuls avec des vrombissements graves qui formaient le socle du morceau. Petit à petit, ce sont les vagues entendues sur Linear to Circular / Vertical Axis qui tentent de faire surface. Quand elles y arrivent la boucle est bouclée.

Je ne sais toujours rien du mystérieux Eleh et donc rien de sa « philosophie ». A l’écoute de Location Momentum, je ne peux cependant m’empêcher de penser que le son est traité ici d’une manière quasi mystique mais toujours dans le but de procurer un effet physique. Eleh semble être à la recherche de quelque chose. Là où certains font appel à la méditation ou au pouvoir psychotrope la drogue pour accéder à un état second, Eleh semble le faire par le son. L’écoute de Location Momentum tient cependant plus de l’isolation de l’ermite et de la recherche de la vérité dans l’ascèse que de la communion universelle promise par les drogues et les hippies. J’espère juste ne pas m’être fait avoir par un gourou de pacotille.

Écoutez un extrait de HeleneleH sur le site de Touch. Notez également qu’un court extrait ne fera JAMAIS justice à un tel morceau.

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Free Press

11 décembre 2010

Je reluquais ce livre depuis un bout de temps mais comme pour beaucoup de choses j’ai laissé traîner. Ce qui devait arriver arriva, il fut épuisé. Introuvable.

Les mois ont passés, je scrutais les pages des librairies virtuelles de temps en temps quand son bon souvenir se rappelait à moi, mais je restais bredouille.

Et puis il y a quelques semaines des exemplaires sont réapparus. Je n’ai pas fait deux fois la même connerie, j’ai passé commande (si je ne me plante pas le livre vient d’être réédité, mais l’exemplaire que j’ai reçu semble être la première édition. Faudrait que je regarde cela de plus près).

Depuis je parcours Free Press avec bonheur. C’est un vrai régal. Rien que la couverture est superbe : sérigraphie 4 couleurs sur carton ultra épais. Tout ce que j’aime.

A l’intérieur on trouve des reproductions de différentes pages de magazines de la contre culture américaine et européenne. Parmi eux, Oz, The International Times, Berkeley Barb et bien sûr Actuel.

La sélection des documents a été faite par Jean François Bizot, un temps directeur d’Actuel et fondateur de Radio Nova, c’est dire qu’elle est de premier choix.

C’est un vrai plaisir pour les yeux. La plupart des documents sont splendides. Ils sont en pleine page et parfois même en double page. On peut donc en apprécier tous les détails mais aussi lire les textes (faut avoir de bons yeux quand même).

Les documents présentés sont dans leur jus. Les marques du temps sont visibles : déchirures, pliures, jaunissements… Cela n’enlève cependant rien à leur beauté et ne fait que renforcer leur pouvoir. Les reproductions n’en sont que plus vivantes. Pas de perfection muséale stérile mais le vécu d’une presse libre et faite pour être lue dans la rue d’où elle puise sa force.

De nombreux thèmes sont abordés : Politique, sexualité, drogue, écologie… En quelque centaines de pages c’est toute une époque qui se livre à nous par l’intermédiare de documents de première main, puisés à plus près de l’action par l’un des principaux protoganiste de la contre culture en France.

Le pied !

Six Organs Of Admittance – For Octavio Paz (Time-Lag, 2003)

5 décembre 2010

Voilà le genre de merveille qui fait de Time-Lag une petite obsession personnelle.

C’est grâce à ce genre d’album que je me suis rendu compte il y a quelques années de ce à quoi servait vraiment un label ; qu’il pouvait posséder une cohérence artistique, une personnalité forte, être animé par la passion et être proche de l’artisanat.

Tout ici crie à l’amour du bel objet façonné par des gens pour des gens.  La pochette est une sérigraphie, beige clair sur papier dessin blanc. Elle se plie en deux autours du vinyle. Le motif est presque invisible et il faut jouer avec la lumière pour qu’il se révèle. Le titre For Octavio Paz et le nom Six Organs of Admittance sont gaufrés.  Un insert à la typographie élégante et dorée contient les informations relatives à la musique. Le mien porte le numéro 235. Dans un monde parfait tous les albums seraient comme celui-là : le fruit d’un labeur à échelle humaine.

Rarement la musique de Ben Chasny aura été si lumineuse et intimiste. Elle sent le bois. Elle est chaleureuse. Si les premiers albums de Six Organs of Admittance emmenaient l’auditeur vers des contrées mystérieuses et nocturnes, For Octavio Paz est le feu de bois qui apporte chaleur et réconfort, ou la fin d’été heureuse, cela dépend de la saison à laquelle vous écoutez l’album. Le son brut et rond de la guitare acoustique enregistrée sur un magnétophone 4 pistes instaure une atmosphère intimiste qui sied à merveille à la musique. Juste un homme et sa guitare. En fait non pas tout à fait car seules les pistes III, VI et VIII sont des prises directes sans overdubs. Sur les autres morceaux, Ben Chasny superpose plusieurs pistes de guitares.

Les morceaux d’ouverte de chacune des deux faces sont entièrement réalisés à partir de tintements de clochettes et de percussions métalliques. D’une certaine manière ils contrastent avec le reste de l’album en distillant un psychédélisme nocturne et fantomatique. Ils sont des fausses pistes.

Les titres de la première face sont courts et dépouillés. Ben Chasny joue avec tendresse et précaution. Les mélodies douces et chaudes  évoquent une certaine idée d’un bonheur simple. Pas un bonheur béat et insouciant mais un bonheur conscient de sa fragilité. Tout n’est pas pure lumière. Une certaine mélancolie transparaît par moment de manière plus ou moins marquée suivant les morceaux. Un léger vague à l’âme qui ne contredit en rien la beauté de l’instant, mais la renforce.

Je rattache cette sensation à un moment très précis de ma vie et je ne peux m’empêcher de le revivre par l’intermédiaire de la musique de Ben Chasny alors que rien ne les relit directement. Au delà de ce souvenir personnel, la face A de For Octavio Paz m’évoque également les superbes images des paysages agricoles au couché du soleil immortalisés par Terence Malick dans Les Moisons Du Ciel.

La face B est d’un autre acabit. Elle n’est pas forcément très différente du point de vue musical mais le morceau de 18 minutes qui l’occupe presque entièrement est d’une tout autre envergure. C’est un véritable moment de bravoure, une fresque monumentale qui nous prouve à quel point Ben Chasny est un guitariste flamboyant. Flamboyant, certes mais toujours humble. Sa dextérité incroyable n’est jamais tape à l’oeil. Ben Chasny ne saurait être vulgaire.

VIII commence de manière neutre mais la mélodie s’affirme et se complexifie au fur et à mesure que les minutes passent. C’est ensuite à un véritable jeu de montagnes russes auquel se livre Ben Chasny. La musique est imprévisible et par moment elle éclate en déluges de notes qui frisent l’abstraction. Ben Chasny longe les crêtes mais ne bascule jamais de l’autre côté. Les abstractions free ne sont que l’écho de la mélodie principale et ne passent jamais au premier plan, ou alors à quelques brèves exceptions vers la fin du morceau. A ce jeu de l’équilibre instable Ben Chasny Excelle. Il a le goût du risque et le maîtrise parfaitement.

For Octavio Paz est sans l’ombre d’un doute, l’un des tous meilleurs albums de la discographie quasi exemplaire de Six Organs of Admittance.

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J’ai intégré l’équipe de Substance M

5 décembre 2010

Je viens d’intégrer l’équipe de Substance M. Mes posts y seront donc publiés mais continueront également de l’être ici en attendant de savoir comment je vais m’organiser. Je vous invite à visiter ce très bon blog et à en lire les articles toujours copieux et intéressants.