Archive for avril 2012

La meilleure chanson du monde du jour (4)

29 avril 2012

 

Takehisa Kosugi – Catch-Wave (CBS, 1974 / Iskra, 2010 )

20 avril 2012

Je ne me rappelle plus très bien quand j’ai acheté cet album. Comme cela m’arrive de temps en temps je l’ai acquis sur un coup de tête, dans la précipitation, avant qu’il ne soit épuisé – ah, les éditions limitées…. Depuis, il dormait sagement rangé dans mes étagères : troisième ligne, deuxième colonne, catégorie drone-ambient. Je l’ai exhumé depuis peu, grand bien m’en a pris.

Si lors de l’acquisition de la réédition de Catch-Wave, album initialement sorti en 1974, les premières écoutes ne m’avaient pas plus convaincu que cela, en revanche aujourd’hui je dois avouer que je suis subjugué. Peut être que le fait d’avoir entre temps écouté de nombreuses fois le Live In Stockholm 1971 des Taj Mahal Travelers m’a aidé à apprécier plus facilement Catch-Wave. Les deux musiques sont assez voisines, sans surprise me direz-vous, car Takehisa Kosugi est membre des Taj Mahal Travelers.

Cependant il est également possible, que cette soudaine empathie pour le disque ne soit pas uniquement due à sa filiation musicale avec les Taj Mahal Travelers. A vrai dire cette musique me parle davantage depuis que j’ai découvert les photographies de Takuma Nakahira en Décembre dernier. Quand je suis tombé nez à nez avec l’œuvre de ce photographe, comme dans un flash, je me suis souvenu de Catch-Wave, alors que je n’avais écouté l’album que très peu de fois et qu’il croupissait dans une pile de vinyles. Etrange chose que la mémoire. Depuis, je parcours Magazine Work en écoutant Catch-Wave et c’est le pied.

On ne soulignera jamais assez comment des œuvres peuvent dialoguer entre elles, modifier les grilles de lecture ou la compréhension que chacun peu en avoir, alors même qu’a priori elles n’ont pas grand-chose en commun. Vous me direz qu’ici ce n’est pas totalement vrai car la musique de Kosugi et les photographies de Nakahira sont toutes deux les fruits du japon des années 7O, gros point commun je le concède. Disons donc qu’il ne faut pas sous estimer l’importance d’un dialogue entre des œuvres n’appartenant pas à la même discipline artistique. Il est donc très important de laisser divaguer son esprit et de développer son imagination pour que ces rencontres aient lieu. Quand un rapprochement s’opère, il en générale d’autant plus frappant, qu’il vous prend par surprise.

En ce qui me concerne, ces deux œuvres se répondent de manière saisissante. La lourde menace qu’elles véhiculent, évoque un univers toxique dans lequel l’Homme est au mieux perdu, au pire rayé de la carte. Les photographies de Nakahira sont la seconde avant l’apocalypse, la musique de Kosugi est le siècle qui suit.

La musique de Takehisa Kosugi coule comme une eau noire, un fleuve lourd qui traverse des territoires dévastés, des restes de terres brûlées, un monde d’après l’Histoire. Lors de l’écoute, difficile de ne pas avoir en tête les images d’ Hiroshima ou de Fukushima. D’une certaine manière cette musique évoque tellement un monde après un cataclysme nucléaire qu’elle ne pouvait venir que du Japon.

Les deux compositions, qui occupent chacune une face, pourraient s’étendre à l’infini. L’oscillation électrique qui les compose leur donne des allures de ragas cosmiques. Des ragas vertigineux qui se perdent aux confins de l’espace et du temps, dimensions que l’on parcourt à l’aveugle en remontant un long fil d’Ariane de solitude, dont on ne sait pas très bien vers quoi il va nous mener.

Catch-Wave, c’est l’après apocalypse sous LSD : fascinant et terrifiant. A quoi pouvaient-elles bien  ressembler ces étendues dévastées qui nous entourent à présent ? D’un noir absolu et uniforme, elles brouillent toute perception visuelle, plus d’horizon, plus de haut, ni de bas, plus d’espace. Le voyage est sans fin, le temps semble bien avoir disparu lui aussi – un autre vestige. Nous voyageons dans un pur fantasme onirique, la terreur au ventre. Celle-ci est d’autant plus forte quand nous rencontrons des souvenirs de notre civilisation – vestiges à peine humains – sous la forme d’une voix gémissante ou du spectre d’une mélodie folklorique jouée au violon

On aurait pu en rester là. Cela aurait donné un disque sans grâce, ni mystère, trop démonstratif, trop unilatéral. Ce qui fait pleinement la force de Catch-Wave, ce qui l’empêche de tomber dans les travers d’une musique platement glauque et morbide c’est que de cette détresse, de ce vide glacé, se dessine au final une forme d’extase. On croit y distinguer comme lueur interne en apesanteur. Elle se diffuse lentement et petit à petit elle insuffle un élan à la musique. La vie semble à nouveau possible comme dans un éternel recommencement.

Un extrait en écoute ici.

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