Archive for mars 2011

Machinefabriek / Matt Davies – Onkruid / Sanctuary (A Room Forever, 2008)

19 mars 2011

Il y a quelques années de cela je me passionnais pour la musique ambient sombre. C’est à cette période que j’ai découvert ce fabuleux label que fut A Room Forever. Fut, oui parce que bien que l’avis de décès n’ait pas été publié, le label n’a rien sorti depuis bientôt 4 ans. Seulement 3 références à son actif, mais une place particulière dans mon cœur. La ligne éditoriale était stricte et exemplaire : Des vinyles sortis à 300 exemplaires, présentés dans une boite en carton noire, sur le couvercle de laquelle était collée une photo numérique imprimée sur papier très brillant. Sur la face A une composition ambient, sur la face B un field recording. Toutes les informations concernant la musique figuraient sur un insert embossé et numéroté. Un grand luxe qui traduisait un amour immodéré pour les éditions soignées et la volonté de donner au disque la préciosité d’un objet d’art.

Des trois références du label, c’est peut être la première qui est ma préférée. Il s’agit d’un split entre Machinefabriek et Matt Davies. La face A est celle de Machinefabriek. L’unique morceau, Onkruid, est un modèle de musique atmosphérique sombre. On y entend une mélodie fantomatique mise en boucle se répéter encore et encore, jusqu’à disparaître ensevelie sous des strates sonores qui augmentent en intensité au fur et à mesure que se développe le morceau. Le processus est simple mais exécuté de fort belle manière. Les textures sonores sont vaporeuses, sombres mais toujours teintées de couleurs profondes. Du bleu nuit et du pourpre. Comme une photo prise dans la pénombre, la musique possède un grain et exhale le mystère. Elle est ténébreuse et mélancolique, mais pas sinistre. Elle renvoie à un romantisme gothique, à la recherche de la beauté dans la tristesse et la décrépitude. Elle peut fasciner autant que les ruines d’une église la nuit. Le semi obscurité et le brouillard lui siéent bien.

Sur la face B, Sanctuary donne à entende une ballade au Lee Valley Park Bird Sanctuary, East Indie Dock Basin à londres. Contrairement à ce que l’on pourrait penser en lisant le titre, ce n’est pas tant le chant des oiseaux qui est mis à l’honneur que l’ambiance générale du lieu. A priori l’enregistrement a été réalisé le soir, c’est du moins comme cela que je le ressens. Les chants d’oiseaux sont distants et ils se mêlent aux autres bruits environnants. Hormis le clapotis de l’eau, le tissus sonore de fond est composé de bruits issus de l’activité humaine : trafic routier, bruits de moteur d’avion. D’autres éléments comme le grondement du tonnerre, une sirène de bateau ou les bruits de pas de Matt Davies se font entendre de manière ponctuelle. Ces bruits ne sont que des évènements anecdotiques, ce qui prédomine dans cet enregistrement c’est le silence inexistant, c’est-à-dire le bruit de fond lointain. Alors oui, comme ça sur le papier, ça n’a pas l’air de casser des briques, ça a même l’air très chiant. Bien évidement si ça l’était je ne m’embêterais pas à en parler ici.

Comme pour la photographie, l’enregistrement sonore est à la porté de n’importe qui pourvu qu’il ait le matériel adéquat, mais les petits riens font les grandes différences. Je ne sais pas comment Matt Davies a réussi cela mais Sanctuary, et ce malgré l’absence de tout élément saillant ou marquant, est absolument fascinant. C’est d’ailleurs grâce à ce morceau que j’ai voulu découvrir et explorer l’univers des field recordings.

Tout ici laisse à penser qu’il s’agit d’une zone péri urbaine, dans laquelle la nature et la ville se rencontre. Un lieu en marge, une zone de frottement entre deux univers a priori distincts. La nature n’est pas ici sacralisée, elle n’est pas dépeinte dans toute sa splendeur, mais comme l’environnement quotidien de notre existence. Une nature banale, particulièrement non remarquable. Une aura de mystère entoure pourtant cet enregistrement sonore, peut être parce que je peux directement le lier avec mon expérience personnelle. Il m’est en effet arrivé de me promener près de chez moi, en fin de journée alors que la nuit tombait, dans les bois ou le long d’une voie de chemin de fer désaffectée. C’est toujours une expérience forte, presque effrayante. On ne peut s’empêcher de fantasmer et de se remémorer des scènes de film, des histoires lues dans les journaux. L’imagination s’enflamme et on est sur le qui vive, les sens en alerte. Chaque son prend une importance accrue. Le bruit de la circulation n’est plus une nuisance mais devient alors rassurant comme une trace de la civilisation, un repère. Chaque craquement, chaque frottement, en temps normal anodin, devient un danger potentiel, un agresseur, une bête sauvage. Si l’on se prête au jeu de ces balades nocturnes dans un état d’esprit adéquat, l’environnement sonore devient un ready made symphonique aussi fascinant qu’effrayant. On oscille en permanence entre peur et envie de contemplation. Tout ce qui est anodin le jour, ne l’est plus la nuit car la tension est plus forte. On traversé par des sentiments contradictoires, on perd les repères entre connu et inconnu, on imagine des histoires insensées à partir de presque rien. Tout cela Matt Davies le rend très bien.

Ce qui différencie ce disque des deux autres, également très beaux, sortis chez A Room Forever, c’est peut être sa plus grande cohérence. Le deux faces se répondent et dialoguent entre elles. Elles sont toutes deux des invitations à explorer la nuit.

Des extraits en écoute ici.

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Rangers – Suburban Tours (Olde English Spelling Bee, 2010)

14 mars 2011

Si Ducktails représente la face ensoleillée d’une certaine idée de la pop hypnagogique défendue par le label Olde English Spelling Bee, Rangers en est le côté obscure. On s’éloigne de la plage bondée pour se rapprocher du parking et de ses odeurs de gaz d’échappement et de goudron chauffé par le soleil. Si la musique de Matt Mondanile évoque les vacances alanguies, celle de Joe Knight (l’homme qui se cache derrière Rangers) est le bouchon sur l’autoroute, l’air de repos prise d’assaut par les vacanciers.

Suburban tours aurait pu être un album opportuniste surfant sur la vague hypnagogique mais il possède une personnalité forte et apporte lui aussi sa pierre à l’édifice. Il pourrait être la B.O. d’un road movie sombre et existentiel coincé sur le périphérique d’une mégalopole. L’ode à la liberté et aux grands espaces d’Easy Rider a laissé place à une virée désabusée dans une banlieue blême. On regarde le paysage péri urbain défiler derrière le pare brise. Pylônes électriques, centres commerciaux et zones industrielles sont le décor de la visite guidée à laquelle nous convie Joe Knight. Seuls, les néons aveuglants et les enseignes criardes animent le paysage.

De cet environnement moderne, de cette ville générique américaine qui ne cesse de s’étaler à perte de vue, naît un sentiment de claustrophobie et d’angoisse. Cela se retrouve dans le son sombre et dense de l’album. La production est comme étouffée et décrépie, déjà obsolète. Les basses vaguement funky mais terriblement désabusées et les mélodies en toc – du plaqué or sur des panneaux d’amiante – peinent à masquer le désenchantement et l’ennui. Sous les paillettes l’angoisse. Les morceaux s’enchaînent sans enthousiasme, comme s’enchaînent les heures d’une journée sans fin, dans une discontinuité homogène, sans jamais sembler aller quelque part. C’est la face immonde de Las Vegas ou de Los Angeles qui nous est donnée à entendre ici. L’ambiance générale est terriblement malsaine mais ce qu’il y a de plus perturbant c’est qu’on ne sait pas si on entend la bande son d’un avenir apocalyptique et fictionnel ou d’un présent trop réel que l’on refuse de voir : un monde déshumanisé et aliénant qui tente de cacher la morosité sous un sourire forcé et un maquillage outrancier. Dans les mains de Rangers, la réalité vacille. Il se pourrait que le vendeur de voitures d’occasion soit un serial killer. C’est Brazil à Disney land.

Entre junk food, séries Z et télé achat, entre désespoir résigné et visions hallucinées, Rangers accouche d’un psychédélisme sombre et moderne. Rarement musique familière aura été aussi inquiétante. Olde English spelling bee n’en finit pas de se poser en brillant fossoyeur de la culture populaire occidentale. Suburban Tours est un disque vraiment intriguant.

PS : si quelqu’un sait comment pirater un réseau informatique, qu’il me contacte. J’aimerai beaucoup entendre cet album diffusé dans mon supermarché quand je fais mes courses.

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Souvenirs d’une AX rouge

13 mars 2011

Jonathan Fire Eater – Tremble Under Boom Lights (The Medecine Label, 1996)

12 mars 2011

C’est en farfouillant des mes CD que je suis retombé l’autre jour sur cet EP, qu’il est vrai j’avais quelque peu oublié. Comme beaucoup d’autres il était resté en pension chez mes parents car tous mes disques ne me suivent pas dans mes multiples déménagements. C’est avec une pointe de nostalgie que je réécoute Jonathan Fire Eater.

Il me semble que je l’avais découvert par l’intermédiaire du magazine Rocksound. Dans la chronique qui lui était consacrée il devait être question d’un état d’esprit similaire au Jon Spencer Blues Explosion ou quelque chose dans le style. J’avais 15 ou 16 ans et je venais de découvrir le blues énervé de Jon Spencer via son album réalisé avec R.L. Burnside. L’idée qu’un autre groupe puisse œuvrer dans le même style le rendait immédiatement désirable. Le hasard a voulu que justement quelques jours ou semaines plus tard je tombe sur Tremble Under Boom Lights chez feu le disquaire qui se trouvait en haut de la rue des boucheries à Quimper (j’ai oublié le nom du magasin). Le EP était là mais en import, donc très cher, en tout cas pour mes faibles moyens de lycéen. J’ai quand même demandé à l’écouter. J’ai immédiatement été séduit mais la question était de savoir si je l’étais suffisamment pour dépenser 120 F dans un CD qui n’avait que 5 chansons (à cette époque quand j’hésitais entre deux albums j’achetais systématiquement celui qui avait le plus de morceaux, histoire de rentabiliser l’achat au maximum). Je suis reparti du magasin sans le CD, la musique résonnant encore dans ma tête. Ce n’est qu’arrivé à la voiture où m’attendait ma mère que je me suis dit merde. Je lui empruntais l’argent, lui demandais de patienter 5 minutes et retournais en courant chez le disquaire. Je n’ai jamais regretté mon achat ni la somme dépensée. J’ai de plus fait le bonheur de pas mal de mes amis car le CD est passé de mains en mains et de cartables en cartables, ce qui explique qu’il soit pas mal abîmé. C’est aussi à cela que l’on reconnaît les disques qui ont compté : à leur état d’usure.

Jonathan Fire Eater ne ressemble pas au Jon Spencer Blues Explosion mais les deux groupes partagent quelques points communs et une certaine affection pour le son rétro du rock garage des années 60. Cependant là où le Blues Explosion fait la part belle aux guitares, Jonathan Fire Eater se distingue par l’utilisation de l’orgue farfisa. C’est en effet cet instrument qui donne sa particularité à la musique du groupe. Chaque morceau repose sur un riff d’orgue imparable et instantanément mémorisable.

Aux sons acides et chaleureux de l’orgue viennent s’ajouter les sonorités aiguisées et tranchantes des guitares. Elles sonnent comme une mise à jour du son des années 60 via la No wave dissonante. Ajoutez à cela une section rythmique impeccable, carrée et dansante et la voix aux intonations terriblement sexuelles de Stewart Lupton, sorte de croisement à la morgue toute adolescente entre Mick Jagger et Jon Spencer, et on obtient un résultat vraiment addictif. Les cinq morceaux qui composent le EP sont tous sensationnels. The Search For Cherry Red ouvre l’album par un vrombissement l’orgue. Quand les premiers accords de ce dernier résonnent enfin accompagnés pas la batterie syncopée et le basse hypnotique on sait que l’on va assister à un grand moment de rock’n roll et ce ne sont pas les déflagrations électriques et acérées de la guitare de Paul Maroon qui nous feront penser le contraire.

Les riffs d’orgue de Make it precious et de The Beautican semblent tout droit sorti de la B.O. de Pulp Fiction. Là encore tous les musiciens sont parfaits. La cohésion entre les membres du groupe est forte. Jonathan Fire Eater a un son abouti qui lui est propre malgré les références évidentes. Pas vraiment de nostalgie ici. Pas d’hommage trop révérencieux non plus. Juste la perpétuation d’un héritage que l’on a assimilé. Le son des années 60 via 1996, parce que c’est bon tout simplement.

Give Me Daughters est sans doute le morceau le plus dansant du EP. Le groove est irrésistible et vraiment jouissif. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est ce que Duffy a essayé de faire avec son tube Mercy. Sauf que Jonathan Fire Eater est mille fois plus rock et hargneux. La musique sent la sueur et la testostérone. Même quand le groupe réduit sa musique à une basse et une batterie, la demoiselle ne peut rivaliser, trop occupée à savoir si sa coiffure et toujours en place et si son visage prend bien la lumière. Là où Duffy se repose sagement sur une esthétique et s’en sert pour donner une coloration à son moreau, Jonathan Fire Eater explose et déborde de vie et d’arrogance. Ils ne se reposent pas sur des références ou des clins d’œil, ils sont les références.

La musique est hargneuse et tendue. Jamais les musiciens ne relâchent la pression même dans les moments les plus calmes comme Winston Plum : Undertaker. Si le Blues Explosion frise par moment l’hystérie, Jonathan Fire Eater déborde d’une rage classieuse. Le groupe s’inscrit dans la lignée des groupes de jeunes gens bien habillés qui durant les années 60 ont pondu des singles magistraux, plein d’élégance et de rage revêche, je pense notamment aux Artwoods dont le gars derrière l’orgue ira officier chez Deep Purple. C’était peut être donc là la destiné de Jonathan Fire Eater. Excellé le temps d’un magnifique  EP et disparaître après un second album qui n’avait pas l’énergie des premiers essais, tout comme certains de ses aînés 30 ans plus tôt.

PS : Après avoir dissout le groupe en 1998, les musiciens se sont reformés avec succès sous le nom The Walkmen, mais sans le chanteur parti chez The Childballads.

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4 mars 2011