Sorte de Pop Art nostalgique aux confins d’une niche musicale enfumée et éclairée par la lumière crue et bleutée d’un poste de télévision, la pop hypnagogique, comme l’a baptisée David Keenan de la revue anglaise The Wire, est le rejeton étrange et improbable de la scène noise américaine. Loin de la radicalité sans compromis du bruit érigé en rempart face à tout ce qui est grand public, certains musiciens dissidents se tournent vers la B.O. du Flic de Beverly Hills, la pop FM des années 80 ou les jingles et génériques de leur enfance. Faut-il vraiment y voir l’émergence d’un mouvement où simplement une similitude esthétique partagée par une poignée de groupes ? Peu importe. Toujours est-il que David Keenan a mis le doigt sur quelque chose et qu’il n’aurait pu choisir meilleur adjectif que hypnagogique. Je ne connaissais pas ce mot mais wikipedia m’en a donné une définition : « Qui se produit pendant la transition de l’éveil au sommeil. Se dit d’images, de visions qui se produisent durant la période d’endormissement et qui, par leur netteté ou leur vivacité, donnent un sentiment de réalité qui surpasse celui de la perception »
Cela ne décrit-il pas merveilleusement la musique de Ducktails, le projet solo de Matthew Mondanile, guitariste des Real Estate ? Bribes de new age, synthés estampillés années 70 et 80, boites à rythmes cheap, réminiscence de génériques TV des années 80 et début 90, mélodies naïves et ensoleillées s’unissent et semblent provenir de très loin à travers la brume d’un demi sommeil comateux.
Landscape évoque un éternel été californien passé à regarder en boucle des vieux épisodes de Beverly Hills sur une VHS pourri. Le spleen d’une fin d’après midi à la plage, en bordure d’autoroute.
C’est un monde de souvenirs enfouis et pas vraiment déchiffrables qui refait surface grâce à un disque. La production a un côté résolument amateur mais cela semble être le vecteur parfait pour cristalliser les souvenirs confus de 40 ans de culture de masse un peu honteuse. Cependant Ducktails ne verse jamais dans l’ironie et l’on sent une profonde tendresse pour tous ces sons aujourd’hui désuets et ringards qui ont bercé notre enfance. Matthew Mondanile leur rend hommage et les drape d’une aura onirique et irréelle.
Il ne vous reste plus qu’à ressortir vos T-shirts fluos et vos vieux jeans déchirés et partir faire du skate en écoutant Landrunner sur votre walkman jaune (avec autoreverse).
Richard Hamilton, Qu'est-ce qui rend nos intérieurs d'aujourd'hui si séduisants, si sympathiques ? 1956, collage.