Archive for avril 2010

Ducktails – Landscape (Olde English Spelling Bee, 2009)

25 avril 2010

Sorte de Pop Art nostalgique aux confins d’une niche musicale enfumée et éclairée par la lumière crue et bleutée d’un poste de télévision, la pop hypnagogique, comme l’a baptisée David Keenan de la revue anglaise The Wire, est le rejeton étrange et improbable de la scène noise américaine. Loin de la radicalité sans compromis du bruit érigé en rempart face à tout ce qui est grand public, certains musiciens dissidents se tournent vers la B.O. du Flic de Beverly Hills, la pop FM des années 80 ou les jingles et génériques de leur enfance. Faut-il vraiment y voir l’émergence d’un mouvement où simplement une similitude esthétique partagée par une poignée de groupes ? Peu importe. Toujours est-il que David Keenan a mis le doigt sur quelque chose et qu’il n’aurait pu choisir meilleur adjectif que hypnagogique. Je ne connaissais pas ce mot mais wikipedia m’en a donné une définition : « Qui se produit pendant la transition de l’éveil au sommeil. Se dit d’images, de visions qui se produisent durant la période d’endormissement et qui, par leur netteté ou leur vivacité, donnent un sentiment de réalité qui surpasse celui de la perception »

Cela ne décrit-il pas merveilleusement la musique de Ducktails, le projet solo de Matthew Mondanile, guitariste des Real Estate ? Bribes de new age, synthés estampillés années 70 et 80, boites à rythmes cheap, réminiscence de génériques TV des années 80 et début 90, mélodies naïves et ensoleillées s’unissent et semblent provenir de très loin à travers la brume d’un demi sommeil comateux.

Landscape évoque un éternel été californien passé à regarder en boucle des vieux épisodes de Beverly Hills sur une VHS pourri. Le spleen d’une fin d’après midi à la plage, en bordure d’autoroute.

C’est un monde de souvenirs enfouis et pas vraiment déchiffrables qui refait surface grâce à un disque. La production a un côté résolument amateur mais cela semble être le vecteur parfait pour cristalliser les souvenirs confus de 40 ans de culture de masse un peu honteuse. Cependant Ducktails ne verse jamais dans l’ironie et l’on sent une profonde tendresse pour tous ces sons aujourd’hui désuets et ringards qui ont bercé notre enfance. Matthew Mondanile leur rend hommage et les drape d’une aura onirique et irréelle.

Il ne vous reste plus qu’à ressortir vos T-shirts fluos et vos vieux  jeans  déchirés  et  partir faire du skate en écoutant Landrunner sur votre walkman jaune (avec autoreverse).

Richard Hamilton, Qu'est-ce qui rend nos intérieurs d'aujourd'hui si séduisants, si sympathiques ? 1956, collage.

Vibracathedral Orchestra – Vibracathedral Orchestra (autoproduit, 1998)

18 avril 2010

Je ne pensais pas mettre un jour la main sur cette petite merveille. L’un des tous premiers (le premier ?) albums du Vibracathedral Orchestra enregistré en 1998 et édité à 200 exemplaires en vinyle 25cm avec pochette sérigraphiée !

Sur cet album le groupe est scindé en deux. Sur la face A : Neil Campbell, Julian Bradley et Michael Flower. Sur la face B : Adam Davenport, Michael Flower, Bridget Hayden. Pour ce premier essai, le groupe a déjà trouvé le style et le son qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

Chacun des deux morceaux est un petit bijou de musique lancinante, hypnotique et extatique.

Falling Free You & Me (face A) est un assaut frontal, un déluge de stridences, de larsens ondulants et de  percussions. On est happé, le souffle coupé par l’intensité du chaos. Le vacarme est certes assourdissant mais jamais violent ou agressif. Les dissonances bruitistes et répétitives hypnotisent et enveloppent l’auditeur qui se retrouve submergé et plongé dans un état proche de la béatitude, au bord de l’extase, n’attenant plus que la Révélation.

Après le morceau précédant, Filling Sacks With Coloured Scraps (face B) sonne un peu plus apaisé. On s’éloigne légèrement de l’hystérie et de la frénésie et on se rapproche d’une musique plus folk mais tout aussi hypnotique. On parvient même à entendre des accords de guitares sous les states de drones et de stridences. Comme toujours il se dégage de la musique de Vibracathedral Orchestra un fort pouvoir hallucinogène. On ne peut s’empêcher de penser à une musique tribale jouée par des sorciers dans le but d’induire la transe et de dialoguer avec les esprits.

C’était en 1998 et déjà un coup de maître.

Les Pochettes du label Blue Note sont magnifiques

9 avril 2010

Folk Rock anglais

9 avril 2010

Pourquoi les héros de la vague Folk-Rock britannique n’ont pas connu (gardé ?) le même niveau de reconnaissance que leurs confères américains reste vraiment un mystère. Peut être que leur inspiration puise-t-elle trop dans la musique traditionnelle pour avoir une résonance vraiment internationale  ? Peut être auraient-ils dû eux aussi écrire un hymne au LSD  ? Je me demande à quoi aurait pu ressembler leur White Rabbit ?

PS: S’ils l’ont fait mais que tout simplement je ne connais pas ce morceau, merci de me prévenir.

Grizzly Bear – Veckatimest (Warp, 2009)

8 avril 2010

Yellow House des Grizzly Bear ne m’avait pas vraiment touché. Là où je devinais que le groupe voulait construire une ambiance chaleureuse et intime à l’odeur de bois patiné par le temps (cf. la pochette) je ne trouvais que la froideur plastique et lisse de Pro Tools. L’album possédait de bonnes chansons mais elles étaient malheureusement noyées dans un perfectionnisme étouffant et stérile.

Veckatimest a donc été une très agréable surprise. Si le perfectionnisme et la minutie qui caractérisent le groupe sont encore bien présents, ils sont en revanche cette fois-ci complètement maîtrisés et servent pleinement les compositions finement travaillées sans jamais s’imposer de façon tape à l’oeil à l’auditeur.

Les Grizzly Bear sont des orfèvres capables de manier comme personne délicatesse et évidence pop comme en témoignent les singles imparables Two Weeks et While You Wait For The Others. Alors bien sûr la référence aux Beatles et aux Beach Boys ne peut que germer dans l’esprit de l’auditeur ; non en terme de similitudes musicales mais plus au regard de l’ambition et de l’achèvement. Mélodies divines, arrangements à couper le souffle et harmonies célestes ne peuvent qu’évoquer l’héritage de Pet Sounds ou de Sergeant Pepper.

Difficile de mettre en avant certains morceaux tant l’album navigue sur les cimes. Chaque morceau est proche de la perfection et pinailler sur une hypothétique supériorité de l’un par rapport à l’autre n’aurait pas de sens.  Certes, certains morceaux sont plus discrets, mais ils sont autant des pauses qui permettent ensuite à l’album de re-décoller. Veckatimest est véritablement conçu comme une œuvre à part entière et non comme une collection de chansons. La construction de l’album est impeccable et on ne voit pas passer les 53 minutes. Il y a toujours quelque chose qui se trame. Le groupe maintient une tension constante et ne tombe à aucun moment dans la facilité. A chaque seconde se dessine un arrangement plus inventif que le précédent qu’il soit exubérant ou sobre.

Grizzly Bear excelle dans la pop baroque finement ouvragée qui distille l’émotion et la passion mais toujours de manière contenue et avec pudeur. Aussi luxuriants que soient certains passages ils ne sont jamais grandiloquents.

Je suis littéralement envoûté par l’architecture acrobatique de Southern Point, la grâce aérienne de All We Ask, le final épique de Fine For Now ou la puissance de We Do What We Can qui éclate comme une mer déchaînée se brisant contre des rochers.

Assurément l’un de mes albums favoris de 2009.

Chris Watson – Stepping Into The Dark (Touch, 1996)

2 avril 2010

Si pour Outside of the Circle of Fire Chris Watson s’est attaché à isoler des sons issus du règne animal, deux ans plus tôt il livrait pour Stepping Into the Dark, son premier album pour le label Touch, 12 enregistrements qui capturent l’atmosphère de lieux qu’il affectionnait tout particulièrement. Ces lieux, il les avait découvert au hasard, lors de promenades, en s’intéressant à l’histoire d’une région, en discutant avec les habitants ou bien encore en regardant des cartes sur lesquelles se dessinaient des zones qui l’intriguaient.

Les prises de son présentes sur ce disque ont été effectuées entre 1983 et 1995, en Grande Bretagne, au Kenya, au Costa Rica, au Venezuela et en Allemagne.

L’approche de Chris Watson est proche du documentaire. Une photo est associée à chaque enregistrement. Les noms des lieux, leurs coordonnées exactes et l’heure d’enregistrement sont indiqués sur le livret pour chacune des pistes.  Ceci est d’autant plus flagrant pour River Mara at Dawn et River Mara at Night qui documentent la modification flagrante d’un environnement sonore selon l’heure de la journée.

Il est intéressant de souligner qu’ici Chris Watson donne à écouter des enregistrements de sons exotiques et étranges, mais aussi des scènes particulièrement anodines et non remarquables dont se dégage néanmoins un certaine poésie. Cette dernière nécessite cependant toute la bienveillance de l’auditeur car c’est seulement par son attention, son oreille tendue qu’elle peut naître. Comme pour un tableau abstrait, il ne ressort de certaines pistes de ce disque que ce que l’auditeur veut bien y mettre.

Sur The Crossroads libre à vous d’y entendre des oiseaux dans une forêt à l’aube ou une renaissance, le commencement de la vie. Bosque Seco peut être un énième enregistrement réalisé dans une autre forêt ou bien la bande son d’un monde vierge et fantasmé, un Eden.

Entre documentaire et fiction Stepping Into The Dark est une invitation à tendre l’oreille. La fin du CD, n’est que relative. Elle incite à continuer soi-même la réalisation de cette bande son mondiale, perpétuellement inachevée.

Best Coast – Sun Was High (Art Fag Recordings, 2009)

1 avril 2010

J’ai malheureusement découvert Best Coast sur le tard (janvier dernier) et tous leurs 45T me sont passés sous le nez. Heureusement pour moi, Art Fag Recordings a eu la bonne idée de rééditer Sun Was High, en joli vinyle couleur soleil qui plus est.

Best Coast est un duo formé par Bethany Cosentino (ancienne Pocahaunted) et Bobb Bruno. A son retour en Californie Bethany s’est dit qu’il serait approprié d’écrire des chansons sur l’été, le soleil, l’océan et la paresse. Mission réussie. Les merveilleuses mélodies de Best Coast débordent de soleil et de nonchalance. Single parfait au charme  délicieusement sixties et mâtiné de naïveté lo-fi, Sun Was High sonne comme un avant goût d’été. Née sous le soleil bienveillant des premiers singles des Beach Boys, la pop naïve de Best Coast s’inscrit dans un certain renouveau du rock garage dont les figures de proue féminines sont les Vivian Girls. Best Coast baigne cependant un peu plus dans une douce léthargie induite par l’abus de certaines drogues douces.

Je prie maintenant pour une réédition de When I’m With You.

Miles Davis – Bitches Brew (Columbia, 1970)

1 avril 2010

Si un jour on m’imposait de choisir un artiste et de n’écouter uniquement que ses disques jusqu’à la fin de mes jours, je choisirai sûrement Miles Davis.

J’admire aujourd’hui sa période électrique mais il n’en a pas toujours été ainsi. J’ai au départ détesté chacun de ses albums des années 70, voire même véritablement haïs On the Corner. Je n’y avais rien compris.

Le jazz électrique de Miles Davis était pour moi un bordel vaguement funky, horriblement prétentieux et terriblement chiant qui s’étirait à n’en plus finir. Rétrospectivement je pense que ce sont mes attentes en matière de groove qui m’avaient posé problème. Pour moi groove était synonyme de chaud,  joyeux, dansant, voire même festif. La beauté froide de Bitches Brew ne pouvait donc que m’emplir d’incompréhension. L’absence apparente de structure n’avait fait qu’enfoncer le clous. Les morceaux s’étirent en effet en de longues répétitions qui s’arrêtent et puis repartent sans se diviser en moments bien distincts. De plus la multitude de percussions est mixée au même plan que l’ensemble des autres instruments ce qui rend le son homogène et difficilement pénétrable.

Maintenant chaque nouvelle écoute de Bitches Brew me laisse pantois. Comment quelqu’un qui dix ans plus tôt accouchait de la perfection absolue qu’est Kind of Blue, peut-il à ce point se remettre en cause et créer quelque chose d’aussi différent mais de tout aussi génial que Bitches Brew. Et si c’est le premier CD et ses deux impressionnants morceaux que j’affectionne le plus à présent, c’est en revanche grâce à Spanish Key que j’ai plongé au coeur  de l’univers électrique de Miles Davis. Ce sursaut, ces quelques notes et cette cassure rythmique à 3min 18sec, sonnent comme une délivrance et m’ont ouvert en grand les portes de Bitches Brew. Parfois le déclic tient à peu de choses.

Je me délecte à présent des rythmes souples et obsédants qui peuplent l’album. Bitches Brew baigne dans une ambiance nocturne et aquatique. De la trompette à l’écho brillant de Miles s’échappent des cris plaintifs de sirène blessée. Le tapis complexe formé par les percussions et les claviers semble former une surface aquatique parcourue d’incessantes ondulations dans lesquelles se miroitent la trompette de Miles Davis, le saxophone de Wayne Shorter et la clarinette basse de Bennie Maupin qui donne à l’album son son si particulier. A ces rythmiques foisonnantes, la basse de Harvey Brooks et la contrebasse de Dave Holland viennent se joindre avec une douceur et une assurance toute féline.

Je me demande pourquoi personne n’a jamais associé Bitches Brew à une certaine forme de free jazz ? Si cet album n’illustre pas à merveille la notion même de liberté, je n’y comprends plus rien. Pourquoi la dissonance serait-elle le seul apanage du free jazz ? N’y a-t-il pas assez de moments de pure folie et d’intensité exacerbée sur Pharaoh’s Dance ou Bitches Brew (le morceau) pour gagner le droit d’arborer fièrement les galons du free jazz ? Miles Davis et ces musiciens ne réduisent ils pas en miettes la tradition héritée du hard bop ? Rythmiquement et structurellement n’est-on pas complètement ailleurs ? Hors du jazz ou du rock ?

Pour certains albums le terme chef d’oeuvre reste un doux euphémisme.

En écoute sur deezer