Archive for octobre 2010

Taj-Mahal Travellers – Live Stockholm July, 1971 (Drone Syndicate, 2000)

25 octobre 2010

Je n’en ai pas encore fini avec les classiques du Krautrock, que je découvre le Japrock, étiquette certes un peu fourre tout, qui renseigne uniquement sur le pays d’origine (Japon) et l’époque (60 – 70), et qui laisse également entrevoir une certaine étrangeté mais qui ne parle pas de la musique en elle-même. Parlons donc de la musique.

Ce double CD documente un concert enregistré en juillet 1971 à Stockholm alors que les Taj-Mahal Travellers étaient réduits à un trio. Pas de titres de morceaux ici mais une longue improvisation de 2 heures.

Le groupe élabore des drones profonds, une musique cosmique qui évoque un voyage intersidéral façon 2001 l’Odyssée de l’Espace. Des échos suraigus rappelant par moment des cris d’animaux nocturnes ou des sonars de dauphins émergent des drones monolithiques tandis que des chants semblables à des Om bouddhistes déformés et étirés dominent et enveloppent le tout. On est ici en territoire assez proche des morceaux Aumgn et Peking O du Tago Mago de Can. Rarement musique aura été aussi cosmique. Et tout comme l’étendue de l’espace, la musique des Taj-Mahal travellers fascine et inquiète. Ce ne sont pas les plaintes glauques qui font leur apparition vers 9 minutes qui arrangeront les choses.

Bien que d’une lourdeur extrême, la musique des Taj-Mahal Travellers avance inexorablement, menaçante, prête à engloutir le monde sur son passage. Par moment cela devient presque dur à supporter tant elle se fait gémissante et malsaine – sinistre. Le vide sidéral n’est pas un endroit accueillant, ce Live a Stockholm non plus. Cependant l’image du vide sidéral ne peut suffire. La noirceur ne peut s’expliquer que par l’absence de lumière. Elle est bien plus trouble que cela. Elle dégage une désolation, une tourmente beaucoup trop grande. Quand tout n’est plus que terreur abyssale, il ne s’offre à l’auditeur que deux solutions :

  1. appuyer sur la touche stop pour respirer une bouffée d’air frais et entrevoir à nouveau la clarté du jour.
  2. Sombrer avec fascination dans ce gouffre sans fond et savourer avec horreur ce qu’ Edgar Poe avait dû voir dans ses rêves les plus noirs.

Ce n’est qu’après une demi heure que l’éclaircie se produit. Quelques notes lumineuses se font entendre et l’espoir renaît. Des percussions frénétiques insufflent la vie à nouveau. La musique se fait exubérante. Une énergie nouvelle totalement inimaginable 5 minutes auparavant jaillit. L’ivresse n’est que de courte durée mais elle a définitivement chassé le désespoir. La descente infernale est finie, un nouveau départ est possible et c’est un blues solaire qui l’inaugure. (fin du premier CD).

A ce moment de l’improvisation, les Taj-mahal Travellers semblent avoir enfin trouver un équilibre entre menace et espoir. Le pathos est complètement écarté et la musique, enfin libérée de ce carcan trop accablant, peut se développer et s’étoffer. Ce qui pourrait être l’écho lointain d’un trombone offre un superbe contraste avec les notes écrasantes de la contrebasse et vers 19 minutes on est même gratifié d’accords de guitare(?) qui vers 26 minutes se font franchement ensoleillés. La dernière demie heure est très belle ; la plus belle du concert peut être. Elle est plus proche d’une l’extase rêveuse et angoissée que de la terreur aliénante du début.

Ce concert de deux heures peut être dur à écouter dans son intégralité. Suivant votre état d’esprit du moment vous allez peut être préférer le CD 1 ou le CD 2. Il n’en reste pas moins fascinant.

Jana Winderen – Energy Field (Touch, 2010)

4 octobre 2010

Jana Winderen a toujours eu une fascination pour les océans. Ils sont pour elle des champs d’énergies dont nous ne savons encore que peu de choses. Elle les parcourt pour enregistrer leurs bruits, pour en capter l’intimité, en entrapercevoir les secrets.

Elle se passionne pour la capture des sons cachés, généralement inaccessibles au commun des mortels. En ce sens elle est une passeuse, elle nous révèle ce qui est habituellement inaudible comme par exemple ce qui se passe à 25m sous un glacier, dans le lit d’une rivière, dans un nid de fourmis, le son des vers, d’une chenille qui mange une feuille, de morues qui communiquent entre elles, ou d’un escargot de mer qui rampe sur un rocher.

Cependant comme le souligne très bien Tobias Fischer dans une interview qu’il a réalisé de Jana Winderen, elle n’est pas une scientifique mais une conteuse. Son dernier album Energy Field n’est pas une étude ou un traité scientifique mais un voyage dans les eaux de la mer de Barents d’où proviennent tous les enregistrements utilisés sur l’album.

Et quel voyage mes amis ! Energy Field semble reprendre les choses là où Heated les avait laissées : sur le bruit du vent arctique. Cependant d’emblée Jana Winderen veut peupler de créatures ce monde sonore quelle avait laissé vide dans son disque précédent. Des cris d’oiseaux et des jappements de chiens se font entendre. Bien vite, en revanche, les drones profonds captés au cœur des glaciers et des océans font leur apparition. Je peine toujours à réaliser qu’ils sont d’origine naturelle et non l’œuvre d’un magicien des sons. Je reste une nouvelle fois ébahi d’autant plus qu’ils sont restitués ici avec une plus grande pureté et netteté que sur Heated.

Energy Field a été conçu en studio contrairement à Heated qui était un live. Les trois morceaux qui composent l’album bénéficient donc d’une plus grande précision dans leur construction. Jana Winderen fait preuve d’une meilleure gestion des plans, et apporte aux trois compositions une plus grande profondeur de champs. Les sources sonores se complètent à merveille et le son pur et cristallin restitue et transmet parfaitement la limpidité et le froid des eaux de la mer de Barents. Les longs drones abyssaux et claustrophobiques ne sonnent plus restreints comme sur Heated, mais vastes, amples à l’échelle des étendues d’eau qui les ont générés tandis que la multitude de craquements et de mico évènements sonores ressort avec une plus grande netteté.

Le discours, le fil directeur des compositions est plus fluide également. Les progressions et les articulations sont mieux gérées. On se trouve devant une narration abstraite et ouverte mais suffisamment forte pour nous embarquer dans une rêverie arctique sans jamais nous perdre en route ni nous laisser sur notre faim. C’est un monde infini de détails qui s’offre à nous et Jana Winderen est notre guide.

Energy Field est le disque que j’attendais depuis longtemps. Une symphonie magistrale à la beauté glaciale et lourde de menace comme le paysage qui a donné naissance aux sons qui la constituent.

Beach Boys – Wild Honey (Capitol, 1967)

2 octobre 2010

Après les arrangements grandioses de Pet Sounds et la folie bancale de Smiley Smile, Wild Honey a dû achever de laisser perplexe un bon nombre de fans des Beach Boys. Je les comprends. On peut légitimement se poser la question de savoir comment peut on passer de Pet Sounds à Wild Honey. L’abus de drogue, la fatigue ainsi que les pressions de la maison de disque sont des débuts de réponses.

Ca ne s’explique pas. Certains morceaux de certains artistes sont bien écrits, bien interprétés, bien produits, efficaces, bien huilés mais ils n’ont pas d’âme. D’autres en revanche sont brouillons, à peine finis, produits avec les pieds mais dégagent un tel sentiment de sincérité qu’on est touché au plus profond de soi même, suspendu à ces quelques notes de musiques. C’est profondément injuste pour les premiers mais c’est comme cela. Les Beach Boys à la fin des années 60 étaient touchés par la grâce. Ils pouvaient enregistrer ce qu’ils voulaient, une ébauche de chanson, une déconnade entre potes, tout leur réussissait.

Pourtant le ton désinvolte de Wild Honey, l’équilibre instable entre dernières lueurs d’euphorie et gueule de bois carabinée, peut surprendre. On aurait cependant tort de sous-estimer cet album même s’il est vrai qu’il est plus facile de succomber à ses charme en le remettant dans le contexte de l’histoire du groupe et de son album mort né Smile. Wild Honey est de fait condamné à rester un album pour les fans, les acharnés et les curieux.

Entre le moment où j’ai découvert Wild Honey et l’autre jour quand je l’ai réécouté, il s’est passé des années, pas mal de trucs découverts, pas mal de lectures, bref plein de choses qui m’ont permis de réévaluer ce disque et de l’apprécier à sa juste valeur.

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec le White Album des Beatles. Bien que ce dernier s’étale sur deux disques et que Wild Honey ne dure que 24 minutes, ils ont en commun les mêmes aspects éclatés, foutraques et bordéliques. Les morceaux n’ont plus, ni la complexité, ni l’envergure des productions précédentes mais se concentrent les plus souvent sur une idée brute comme couchée à la va vite sur la bande. Une simplicité dépouillée telle une pause après des chefs d’oeuvre de production (Pet Sounds / Sergent Pepper). De plus sur A Thing Or Two et Aren’t You Glad, la basse de Brian Wilson n’a jamais autant ressemblé à celle de Paul McCartney.

La plupart des chansons présentes sur ce disque ne tiennent qu’à peu de choses et dans n’importe quelles autres mains que celles des Beach Boys elle se seraient littéralement écroulées. Qui d’autre aurait su emmener Let The Wind Blow ou  le charmant I’d Love Just To See You là où les Beach Boys les emmènent ? De même, imaginez Obla-di Obla-da confiée à un autre groupe que les Beatles… Et que dire de Rocky Racoon, Why Don’t We Do It In The Road… ?

Wild Honey est le dernier album des Beach Boys sur lequel ils sont fun. How She Boogalooed It est le digne descendant de Barbara Ann. Et que dire des 1 min 4 sec a capella de Mama Says. Qui d’autre peut se vanter de sonner si spirituel tout en ayant l’air de s’éclater ? Il est également le seul album sur lequel Les Beach Boys se rêvent musiciens de la Motown. Wild Honey (la chanson) et la reprise du I Was Made to Love Her de Steve Wonder sont tout deux excellents, tout comme Darlin’, morceau orgasmique à la joie et l’enthousiasme communicatifs, que j’écoute en boucle depuis des semaines.

Sur Wild Honey Les Beach Boys n’atteignent certes pas les hauteurs stratosphériques de Pet Sounds. Il ne faut par ailleurs  surtout pas y chercher ce sens du raffinement et du sublime qui illuminait Pet Sounds,  sous peine de passer complètement à côté de l’album. Ils livrent ici en revanche un disque touchant et direct qui, certains jours, me boulverse plus que leur chef d’oeuvre tant révéré.