Je n’en ai pas encore fini avec les classiques du Krautrock, que je découvre le Japrock, étiquette certes un peu fourre tout, qui renseigne uniquement sur le pays d’origine (Japon) et l’époque (60 – 70), et qui laisse également entrevoir une certaine étrangeté mais qui ne parle pas de la musique en elle-même. Parlons donc de la musique.
Ce double CD documente un concert enregistré en juillet 1971 à Stockholm alors que les Taj-Mahal Travellers étaient réduits à un trio. Pas de titres de morceaux ici mais une longue improvisation de 2 heures.
Le groupe élabore des drones profonds, une musique cosmique qui évoque un voyage intersidéral façon 2001 l’Odyssée de l’Espace. Des échos suraigus rappelant par moment des cris d’animaux nocturnes ou des sonars de dauphins émergent des drones monolithiques tandis que des chants semblables à des Om bouddhistes déformés et étirés dominent et enveloppent le tout. On est ici en territoire assez proche des morceaux Aumgn et Peking O du Tago Mago de Can. Rarement musique aura été aussi cosmique. Et tout comme l’étendue de l’espace, la musique des Taj-Mahal travellers fascine et inquiète. Ce ne sont pas les plaintes glauques qui font leur apparition vers 9 minutes qui arrangeront les choses.
Bien que d’une lourdeur extrême, la musique des Taj-Mahal Travellers avance inexorablement, menaçante, prête à engloutir le monde sur son passage. Par moment cela devient presque dur à supporter tant elle se fait gémissante et malsaine – sinistre. Le vide sidéral n’est pas un endroit accueillant, ce Live a Stockholm non plus. Cependant l’image du vide sidéral ne peut suffire. La noirceur ne peut s’expliquer que par l’absence de lumière. Elle est bien plus trouble que cela. Elle dégage une désolation, une tourmente beaucoup trop grande. Quand tout n’est plus que terreur abyssale, il ne s’offre à l’auditeur que deux solutions :
- appuyer sur la touche stop pour respirer une bouffée d’air frais et entrevoir à nouveau la clarté du jour.
- Sombrer avec fascination dans ce gouffre sans fond et savourer avec horreur ce qu’ Edgar Poe avait dû voir dans ses rêves les plus noirs.
Ce n’est qu’après une demi heure que l’éclaircie se produit. Quelques notes lumineuses se font entendre et l’espoir renaît. Des percussions frénétiques insufflent la vie à nouveau. La musique se fait exubérante. Une énergie nouvelle totalement inimaginable 5 minutes auparavant jaillit. L’ivresse n’est que de courte durée mais elle a définitivement chassé le désespoir. La descente infernale est finie, un nouveau départ est possible et c’est un blues solaire qui l’inaugure. (fin du premier CD).
A ce moment de l’improvisation, les Taj-mahal Travellers semblent avoir enfin trouver un équilibre entre menace et espoir. Le pathos est complètement écarté et la musique, enfin libérée de ce carcan trop accablant, peut se développer et s’étoffer. Ce qui pourrait être l’écho lointain d’un trombone offre un superbe contraste avec les notes écrasantes de la contrebasse et vers 19 minutes on est même gratifié d’accords de guitare(?) qui vers 26 minutes se font franchement ensoleillés. La dernière demie heure est très belle ; la plus belle du concert peut être. Elle est plus proche d’une l’extase rêveuse et angoissée que de la terreur aliénante du début.
Ce concert de deux heures peut être dur à écouter dans son intégralité. Suivant votre état d’esprit du moment vous allez peut être préférer le CD 1 ou le CD 2. Il n’en reste pas moins fascinant.