Archive for juin 2010

Chris Watson – Weather Report (Touch, 2003)

30 juin 2010

J’avais acheté un lot de 3 albums de Chris Watson quand Touch avait fait une promo. Après en avoir bien écouté deux d’entre eux et publié leurs chroniques, j’avais ensuite mis le dernier de côté. J’avais besoin d’une pause. Je le ressors maintenant.

Je l’ai mieux réécouté l’autre soir dans des conditions particulières. J’étais au lit, il faisait très chaud et très lourd, la fenêtre était ouverte et les bruits du dehors se mêlaient aux field recordings de Weather Report. Soudain un violent orage a éclaté au même moment où un autre se déchaînait sur les enregistrements effectués au Kenya. J’étais dans un demi sommeil et tout a commencé à se mélanger. C’était une expérience incroyable. Un de ces moments magiques durant lesquels l’expérience musicales est parfaite et totale.

Weather Report est composé de 3 longues plages de 18 min. La première a été enregistrée le 17 octobre 2002, entre 5h00 et 9h00, dans les plaines du Massaï Mara au Kenya. Chris Watson condense 14 heures d’enregistrements et nous fait suivre l’évolution de la journée : les changements d’ambiances sonores, les animaux en action, les intempéries, les bergers qui conduisent leur troupeau… C’est la vie de la savane qui nous est donnée à entendre.

Si le morceaux ne n’avait pas marqué lors des premières écoutes, l’autre soir lors de l’orage, il a pris une autre dimension. Chris Watson a réussi à capturer une partie de la puissance et de la violence de la vie au Massaï Mara et il nous la restitue dans un assemblage épique qui possède la grandeur d’une épopée. Il parvient à construire une narration ouverte et non descriptive par le montage des enregistrement. Sur cet album son approche est quasi cinématographique.

Ceci est particulièrement frappant dans la seconde piste composée à partir d’enregistrements réalisés en Écosse entre Septembre et Décembre. Écoutez la coupure à 4 minutes. Quel sens de la mise en scène!

Chris Watson est un virtuose. Il parvient à capturer l’impalpable et à le restituer avec une finesse infinie, grâce à une débauche de détails absolument étourdissante et cela sans jamais tomber dans l’anecdote et perdre de vue l’ensemble plus vaste de la composition. Le jeu sur les échelles est maîtrisé à la perfection depuis la restitution de l’ambiance générale jusqu’à la capture du son le plus infime.

La dernière piste nous rappelle encore une fois que les sons issus de la nature sont d’une richesse inouïe. Il est vraiment difficile de croire qu’il s’agit bien là d’enregistrements de terrain et qu’il n’y a eu aucune modification ultérieure en studio. Tous les sons proviennent de glaciers situés en Islande. Cette musique est divine – oui, musique, il n’y a pas d’autre mot – et d’une beauté à couper le souffle. Son écoute est obligatoire pour tout amateur de drone. Je n’en reviens toujours pas.

Chora – Plume Like (zérojardins, 2007)

28 juin 2010

Zerojardins m’a offert ce CDr en cadeau lorsque j’ai passé commande de Faux Ami (dont la chronique devrait suivre un jour). Un grand merci pour cela.

Premièrement mention spéciale pour la pochette au graphisme brut et sauvage réalisée en sérigraphie rose fluo sur un papier blanc brillant. Le contraste est très beau mais impossible à prendre en photo ou à scanner. De façon assez contradictoire c’est précisément à cause de la pochette que j’aurais eu des réticences à acheter Plume Like, craignant un jusqu’au-boutisme bruitiste et violent. Il n’en est rien, ou presque.

Chora semble avoir plus d’une corde à son arc et continue de me surprendre et de me faire désavouer mes résistances initiales vis à vis du groupe. Leur musique est bien plus variée que ce que j’étais près à croire il y a un an de cela à l’écoute des titres de leur MySpace. Le superbe Ruined Parabola ne serait donc que la partie immergée de l’iceberg.

Ce qui m’a le plus surpris à l’écoute de Plume Like c’est sa sonorité claire et acérée. Cette musique électrique et brute à une qualité presque physique, concrète. La matière électrique semble prendre corps et se matérialiser via ce que j’imagine être un bordel de câbles et de boîtiers. Elle semble être pure électricité. Il s’en dégage une noirceur viscérale et crue. Les sons semblent provenir de magnétophones défectueux, comme prisonniers de boucles infernales. Grincements et grondements déshumanisés, se perdent en échos et se désagrègent par vagues rugueuses.

Tap Head correspond au moment où les murs de sons disparaissent et où le groupe n’utilise plus que des percussions et des bruissements épurés. Étonnement ce qui aurait pu être chiant et pénible se trouve être une réussite et le groupe parvient à créer un tapis toujours en mouvement et en perpétuelle évolution. On a l’impression qu’ils continuent ce qu’ils avaient commencé avec la piste 1 mais sans l’électricité.

Peu à peu la noirceur disparaît et on bascule vers le mystère et des sonorités plus ethniques. Puis c’est le rock qui pointe le bout de son nez. La musique se réorganise et quelque chose d’autre se met peu à peu en place . La tension monte. Les guitares font leur apparition, la batterie roule. Le finale est à couper le souffle et évoque dans une certaine mesure Godspeed You Black Emperor croisé avec le Vibracathedral Orchestra.

Très belle surprise. Chora frappe encore là où je ne l’attendais pas.

Colossal Yes / Six Organs of Admittance – Split 7″ (Dulc-i-Tone Records, 2005)

20 juin 2010

Je me replonge dans quelques 45T que j’avais délaissés depuis un bout de temps. L’un d’entre eux est un split entre Six Organs of Admittance et Colossal Yes. Commençons par l’objet en lui-même ; j’attache une très grande importance aux disques physiques.

Il s’agit d’un 45T dont le label jaune est tamponné sur une face (j’adore les labels tamponnés), l’autre est vierge. Il n’a pas de pochette illustrée mais le disque est glissé dans une pochette de protection générique blanche. Une plaque de bois sérigraphiée fait office de pochette. Un carton format carte de visite sur lequel sont marquées les informations relatives au disque complète l’ensemble. Le tout est limité à 350 exemplaires.

A chaque fois que je tiens ce disque dans mes mains j’ai l’impression de manipuler un petit trésor.

Mais venons-en à la musique. La première face est celle de Colossal Yes. Je n’avais jamais entendu parler de ce musicien auparavant et je n’en ai jamais entendu parler depuis. Sa chanson est une ballade jouée au piano. Elle a été enregistrée chez lui par Ben Chasny sur un magnétophone 4 pistes. Il y a un bruit de fond et un souffle très important mais le son dégage une chaleur incroyable. Il possède une puissance et une intensité que le format 45T restitue à merveille. Honeycreeper Smile commence par quelques accords de piano, une mélodie assez banale et passe partout mais à la beauté directe. La voix est mal assurée. La chanson a le charme d’une démo volée, la beauté d’un moment d’intimité capté sur le vif. Quand surgit l’harmonica, elle prend une nouvelle ampleur, elle gagne en souffle et l’on pardonne comprend la retenue du départ. C’est alors une fragilité qui rappelle certaines chansons de Neil Young qui prend l’auditeur aux tripes. L’émotion tient à peu de choses mais elle est là, bancale dans le dénuement le plus total. Je ne peux m’expliquer pourquoi ces quelques accords passe-partout sonnent aussi grands et de manière aussi magique mais le son et l’impression d’intimité qui s’en dégage y sont sûrement pour quelque chose.

Sur la face B, Ben Chasny est seul à la guitare. Le morceau est entièrement instrumental. Encore une fois le son est incroyable. Il est chaleureux et direct. On entend les doigts qui glissent sur les cordes. C’est comme si Ben Chasny était dans la pièce. Là aussi la musique est d’une grande simplicité et je n’avais pas su en voir toute la beauté lors des premières écoutes. J’étais habitué à l’aspect sombre et envoûtant de la musique de Six Organs of Admittance. Le folk simple et solaire de All The Bees In The World m’avait dérouté. Il s’en dégage une joie simple, une tendresse rassurante, presque familiale. Plus je l’écoute plus je succombe à son charme.

Un disque à savourer tard le soir.

Une vidéo de Colassal Yes jouant Honeycreeper Smile en live est visible ici. Essayez d’imaginer la chanson sans l’horrible batteur.

Dylan Ettinger – Cutters (Digitalis / Ruralfaun, 2010)

20 juin 2010

Je n’avais pas vraiment prêté attention à Dylan Ettinger auparavant. Il faut dire qu’il n’avait sorti que des cassettes, qu’il ne s’agit pas vraiment de mon support préféré et que de plus je suis un peu perdu dans le déluge des sorties de musique synthétique à l’esprit DIY ou  hypnagogique (à défaut de meilleure étiquette). La seule raison pour laquelle je me suis décidé à jeter une oreille plus attentive à sa musique est que Cutters est sorti en vinyle sur Digitalis (en collaboration avec Ruralfaune), label auquel je porte une attention particulière.

Grosse surprise et énorme coup de coeur. Cutters est un moment de pur délire euphorique. La face A s’ouvre avec Riding Dirty, véritable sommet de folie bordélique qui partage un certain sens du pouêt  pouêt tarabiscoté avec Dan Deacon. C’est un petit bijou de perversion kitsh, jouissive et hypnotique à l’hystérie communicative.

Summer Sun et Night Riders sont plus planants et tendent vers une certaine forme de new age cosmique et ludique. Ils ont un côté enfantin et naïf un peu étrange un peu à côté de la plaque. Certaines personnes appellent ça outsider music , les Shaggs et Mark Tucker en sont de beaux spécimens.

Dernier morceau de l’album, Lil’5 retrouve la frénésie du morceau d’ouverture. La rythmique est jouissive et évoque une sorte de krautrock régressif et invraisemblable. Derrière les mélodies 80’s et les rythmes motorik, on entend des cris et des onomatopées scandées et noyées dans la brume comme Lee Perry après son 63ème joint (vu en concert). Le résultat est addictif.

Lil’5 est en écoute sur le site MySpace De Dylan Ettinger.

Red Favorite – Red Favorite (Streamline, 2008)

8 juin 2010

Derrière Red Favorite se cache Jeremy Pisani, guitariste américain qui a emprunté son pseudonyme à un morceau de Bert Jansch et John Renbourn extrait de l’album Stepping Stone. Initialement sorti en CDr en 2006 sur le label Spirit of Orr, l’album a été réédité en  vinyle par Streamline en 2008.

Il rappelle par certains aspects l’acid folk des années 60/70. Red Favorite distille un folk rêveur, comateux et onirique. Des paroles incompréhensibles et murmurées surnagent sur de délicats arpèges de guitares, quelques touches de flûte, de légères percussions et des synthétiseurs planants.

Cette musique onirique et champêtre évoque des visions de jardins enchantés, étranges et merveilleux. Elle semble parvenir depuis la lisière d’un sommeil trouble, écho d’un monde irréel à la fois paisible et doucement menaçant.

Cette impression de demi sommeil (je me retiens d’employer le terme hypnagogique) est en partie liée au fait que l’album soit constitué de bribes d’enregistrements réalisés entre 1996 et 2003. On est donc bien dans le domaine de l’assemblage de fragments et de souvenirs. Les mélodies sont  répétées, ressassées, comme altérées et transformées par le temps au fil des exécutions. S’y ajoutent des fields recordings, enregistrement d’orchestre oriental, et chants d’oiseaux qui accentuent le côté fragmentaires de l’album et achève de lui conférer une qualité onirique.

La fin de la face A s’aventure même dans des contrées hautement psychédéliques et cosmiques en convoquant avec succès l’esprit de Pink Floyd période 68-69. Le clou est enfoncé lorsque dans les ultimes secondes c’est la spirale infernale de I want You (She’s so Heavy) qui pointe le bout de son nez.

Red Favorite est un très bel album à l’ambiance intime et aux senteurs boisées, à l’écoute duquel je ne peux m’empêcher d’imaginer Jeremy Pisani courbé sur sa guitare, tard la nuit ou au petit matin, façonnant tel un artisan à la lueur d’une bougie, cette musique douce et crépusculaire.

Des titres en écoute sur MySpace ici.