Archive for décembre 2011

Artistes Divers – Life is a problem… but where there is life there is hope (Mississippi Records, 2007)

11 décembre 2011

Déjà il y a le titre, magnifique. Il résume à lui seul la dualité de la musique blues et gospel, douleur/espoir, sentiments aussi intrinsèquement liés, qu’opposés. Sur Life is a problem… But where there is life there is hope l’espoir triomphe et emporte tout sur son passage.

Cette compilation est en fait le premier volet d’une série en cours dont Oh graveyard, you can’t hold me always est le second volume. Un troisième vient de sortir. Si Oh graveyard, you can’t hold me était plutôt orienté soul, Life is a problem… est résolument blues. La guitare est à l’honneur, et attention aux tympans, ici on joue fort, très fort. Ceci paraît incroyable et pourtant, bons nombres de titres présents sur la compilation sont joués par des hommes d’église. L’album s’ouvre avec Take a trip du Révérant Utah Smith – un autre de ses titres, I’m Free, est présent sur la face B. Le premier a été enregistré en 1953, le second en 1947. Chacun des deux a de quoi faire crever d’envie 99% des soi-disant rockers qui ont officié ses 60 dernières années. Si on m’avait dit que Take a trip était un morceau de Chuck Berry, je l’aurais cru sur parole. En plus d’avoir été un as de la 6 cordes, le révérant fut également un showman extravagant et fantasque. Car non content de courir de long en large dans l’église en hurlant ses sermons et on jouant de la guitare à vous en faire saigner les tympans, il s’était confectionner des ailes qu’il s’accrochait dans le dos, ceci en référence à une autre de ses chansons, Two wings. On raconte même l’avoir vu voler, accroché à un système de cordes et de poulies. Il faut croire que la bible aussi a ses guitar-heroes.

Cela se confirme par ailleurs avec le second morceau étrangement intitulé A night in the house of prayer, alors qu’il s’agit de toute évidence d’une reprise de When the saints are marching in. Cette fois-ci, c’est le révérant Lonnie Farris qui tient la guitare. Là aussi c’est difficile d’imaginer un homme d’église jouant cette musique pour ses ouailles. En effet, on l’imaginerait mieux à Monterey, habillé d’un costume flamboyant,  jouer de la guitare avec les dents avant d’y mettre le feu.

Avec Life is a problem… on apprend donc qu’a priori Dieu rien contre les guitares sauvages et c’est tant mieux. Il n’y a donc aucun problème à se repasser en boucle Lord will make a way du révérant Anderson Johnson, ou I found a solid rock de Bishop Perry Tills, morceaux noyés sous les distorsions cradingues qui feraient passer l’album A ass pocket of wiskey de R.L. Burnside pour un disque des petits chanteur à la croix de bois. On en vient au final à se demander si le blues-punk n’est pas né 30 ans avant le punk. J’ai comme une envie subite de réécrire l’Histoire.

Encore une fois je ne tarirais jamais assez d’éloges sur les talents de compilateurs des gars de chez Mississippi Records. J’avais dit de Oh graveyard, you can’t hold me que c’était une compilation parfaite. Je vais devoir me répéter. Si les guitares endiablées dominent l’ensemble de la compilation (surtout la face A en fait), d’autres titres plus «apaisés » apportent une diversité bienvenue. A commencer par le morceau qui a donné son nom à l’album, Life is a problem de Sister Ola Mae Terrel, sur lequel la guitare, aussi saturée soit elle, se fait plus hypnotique que rageuse. Seat in the kingdom, des Crumb Brothers, lorgne lui du côté de la soul et en 2min 31sec fait plus de bien qu’une cure d’antidépresseurs de 6 mois (ceci est une image, je tiens à rassurer les lecteurs de cette chronique, je vais bien). Pray On est au moins aussi fabuleux, et est chanté avec une telle conviction et une telle foi douce et quasi maternelle qu’on se sent comme bercé et protégé. Standing in the safety zone fait penser à une chanson enfantine avec son rythme enjoué et entraînant. Lil school song aussi, mais en version nounours se prend pour un barde loner folk.

Je pourrais difficilement être plus enthousiaste concernant cet album, qui est à coup sûr mon coup de cœur de l’année.

PS : vous comprendrez donc maintenant pourquoi je ne ferai jamais de top de fin d’année sur ce blog : il ne comprendrait quasiment que des albums sortis depuis belle lurette.

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La meilleure chanson du monde du jour (2)

10 décembre 2011

The Dove Azima, The Dove Azima (Oakhill Records, 2011)

7 décembre 2011

The Dove Azima est le second album de Zachary Hay, guitariste vivant à Cleveland et auteur de Bronze Horse, dont j’avais déjà parlé ici. Comme j’avais beaucoup aimé l’album précédent, j’ai acheté celui-ci les yeux fermés. J’ai dans un premier temps cru que j’aurais dû m’abstenir.

L’ouverture peut surprendre, voire agacer. Des notes de piano approximatives et esseulées résonnent dans le vide comme en proie à une grande souffrance. Cela peut paraître maniéré, et même un peu cliché. Je suis parti sur de mauvaises bases à la première écoute du disque. Il me semblait vouloir jeter à la face de l’auditeur, du pathos de manière trop ostentatoire pour être honnête. Quelques mois plus tard, j’ai changé d’avis. Au fil des écoutes, l’impression de maniérisme se dissipe et je commence à se laisser prendre par la nature expressionniste et naïve du jeu de Zachary Hay. Ce que j’avais pris pour une posture vaine, se trouve en réalité être d’une réelle sincérité.

Zachary Hay n’a pas peur des fausses notes et des passages atonaux. Il n’a pas peur de sonner trop simple et rudimentaire. Il n’a pas peur non plus, de ne plus être guitariste du tout et il troque parfois sa guitare contre d’autres instruments, piano, gong… Il habille même certaines compositions de field recordings qu’il a réalisé auparavant et qu’il a décidé d’exhumer pour l’occasion. Il voulait donner à entendre ces sons oubliés sur des bandes magnétiques, bruit de pas dans la neige, grincement d’une porte, celui d’une route lointaine… Ces ajouts contribuent grandement à donner une atmosphère nocturne et énigmatique au disque.

Wisconsin Death Trip, Michael Lesy (Pantheon, 1973)

Quand il manie la guitare le jeu de Zachary Hay est sec et vrillé. Les notes claquent et résonnent dans le silence et le vide. Un peu à la manière d’une photographie au grain affirmé et au contraste violemment cramé qui transforme un élément qui aurait du être anodin en une menace potentielle, une hallucination tangible, certaines notes sont pesantes et lourdes de sous entendus. A l’inverse, dans quelques recoins de ce labyrinthe que tisse Zachary Hay, des accords esquissent en contrepoint une valse saoule et titubante, avant que, sans crier gare, quelques mélodies illuminent l’ensemble et irradient une chaleur douce et rassurante. Avant d’en arriver là, avant de se sentir envahit par cette douceur teintée d’espérance, il faudra traverser un désert froid et inquiétant. Il faudra se sentir seul, perdu dans la nuit.

Sur ce point, The Dove Azima m’évoque une nuit d’insomnie, quand en proie à une grande fatigue, le monde nous accable et se pare d’un voile onirique, d’une blancheur spectrale, qui plonge ce qui nous entoure dans une brume d’irréalité où le plus insignifiant élément se trouve pourvu d’une force démesurée, capable de faire vaciller la réalité. Le plus petit détail devient un monde en soi, dont on pense ne jamais pouvoir faire le tour. Les choses se bousculent et on se sent sombrer, submergé par un trop plein de sensations. Au même instant dans une autre partie de notre cerveau confus, le silence règne et un calme sournois semble recouvrir toutes choses – on glisse dans la contemplation. Comme l’aube met fin à l’insomnie et dissipe les angoisses en redonnant un visage rassurant à ce qui nous entoure, la fin du disque voit surgir des mélodies boisées et pastorales.

Pas facile dans un premier temps de trouver ses repères dans ce disque très fragmenté qui semble se disloquer au fur à mesure de l’écoute. Les moments se succèdent et on a bien du mal à rassembler les pièces du puzzle.  Elle évoque un squelette disloqué et éparpillé, gisant dans la poussière. Les ossements dispersés donnent une allure étrange au défunt qui garde une grâce incongrue, irréelle sous la lune. Il semble sourire.

Poussières et revenants peuplent ce disque aux parfums gothiques. Aussi surréaliste que funèbre, il évoque un road movie métaphysique, une virée en noir et blanc dans le désert américain, ou alors La nuit du chasseur et Répulsion projetés simultanément sur l’écran d’un drive-in dans la ville imaginaire de AMOKAT.

Ce deuxième album de Zachary Hay est encore plus hanté et fantomatique que le précédant. C’est une invitation à une dérive nocturne et solitaire sur les traces des spectres des musiciens de blues et de folk des  siècles passés. On aura du mal a trouver un album plus mystérieux cette année.

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