Archive for novembre 2011

Artistes divers – Oh Graveyard, You Can’t Hold Me Always (Mississippi Records, 2008)

10 novembre 2011

Cela fait plusieurs mois que je n’écoute quasiment plus que du blues et du gospel. Je me replonge dans de vieilles acquisitions – le très consistant coffret Les triomphes du blues – mais surtout des découvertes plus récentes comme notamment Oh graveyard, you can’t hold me always, fantastique compilation sortie en 2008 par le non moins fantastique label Mississippi Records (oui encore lui). Du gospel je ne connaissais pas grand chose hormis quelques clichés, qui ne m’avaient pas vraiment donné envie de fouiner du côté de cette musique. Gigantesque coup de pied au cul, Oh graveyard, you can’t hold me always est venu bouleverser toutes mes idées reçues et m’a ouvert les yeux au point de me donner envie de n’écouter plus que cela pour le moment. Exit les versions sucrées et lisses de Oh Happy Days, et bienvenue aux gospels bruts et lumineux qui « craquent et fouettent comme un vent d’effroi de l’Ancien Testament« .

Déjà il y a la pochette très belle, en carton épais, et puis l’aura de mystère, l’impression d’une plongée dans le temps en terre inconnue. Il n’y a pas d’autres informations sur les morceaux que leurs titres et leurs interprètes. Impossible d’en trouver d’autres. J’ai pourtant fouillé sur Internet mais j’ai fait chou blanc. J’ai bien trouvé d’autres compilations ayant des titres en commun avec Oh graveyard, you can’t hold me always, voire même d’autres morceaux (trois ou quatre pas plus) d’artistes présent ici mais rien qui ne m’en apprenne d’avantage.

Tous les musiciens qui se trouvent sur cette compilation semblent être de parfaits inconnus. Certains étaient peut être des gloires locales, des célébrités dans leur communauté ou leur quartier, d’autres, Monsieur et Madame Tout-le-monde ayant enregistré un seul et unique morceau ; qui sait… Encore une fois je ne peux m’empêcher de mettre en perspective cette musique enregistrée par des inconnus avec la starification outrancière de la sphère musicale qu’elle soit mainstream (popstars), indé (hype) ou underground (culte). Quand j’écoute Oh graveyard, you can’t hold me always je pense à des field recordings, à ces musiques jouées par des amateurs, des personnes dont le principal statut n’est pas d’être artiste, chanteur ou musicien. Ces musiques ne sont pas faites pour être vendues, ni pour divertir. Elles ne sont pas de l’art pour l’art, ni ne sont des musiques savantes. Elles sont faites pour être partagées avec des proches – famille, amis, église peu importe. Quelque chose de profondément sincère en émane : pas d’arrières pensées, pas de d’autosatisfaction, pas d’artifices – il y a quelque chose de désintéressé ici, l’individu disparaît derrière la musique. Cette spontanéité et cette simplicité sont désarmantes et je reste souvent les bras ballants et le ventre serré à me demander comment tout cela est-il possible, comment des musiques si puissantes peuvent sortir de nulle part, a fortiori jouées par des personnes lambda. C’est un peu comme plonger dans un univers parallèle, une autre façon de vivre la musique. Cela fait rêver, encore faut-il être au bon endroit, au bon moment, là où ce quelque chose de spécial se passe car bien évidemment, le monde fourmille d’amateurs jouant de la musique pour leur voisinage ou leur famille, mais tous sont loin d’arriver à soulever des montagnes comme le font les musiciens présents sur Oh graveyard, you can’t hold me always. C’est la limite de ce système.

Oh graveyard, you can’t hold me always une compilation parfaite qui fait se télescoper les styles. On ne s’ennuie pas une seule seconde et l’album peut s’écouter en boucle jusqu’à plus soif. La sélection est éclectique, tous les titres sont formidables et se complètent magnifiquement. La soul domine cependant l’ensemble et colore la majorité des titres à commencer par le morceau d’ouverture, le stupéfiant Eternal Life dont il se dégage une ferveur incandescente et communicative. Il n’est pas difficile d’imaginer que ce titre aurait pu devenir un tube s’il avait bénéficié d’une meilleure production. La soul se fait ensuite plus sensuelle avec Walk Around, étincellante et classieuse sur You don’t know, bluesy et nonchalante sur In your kingdom et se pare de chœurs puissants sur Sinners Crossroad.

Le blues n’est bien sûr pas en reste comme en attestent Going over the hill, Looking for a Better Place to live et Jesus help me, envoyé pied au plancher, toutes guitares dehors et boom-tac tonitruant qui claque à en faire pâlir les gars de chez Fat Possum.

Beaucoup de titres se développent autours de rythmes lancinants et indolents, comme par exemple Come on, au cours duquel un enchaînement d’accords sera inlassablement répété, mais à ce petit jeu là, la palme revient à Grumblers, qui magie des transitions se transforme en un March Theme tellement hypnotique et obsédant qu’on voudrait qu’il dure toute la nuit.

Soul, Blues, Soul bluesy, Blues soulful, au delà des étiquettes il y a aussi les inclassables comme l’émouvant That’s alright interprété a capella par Laura Rivers qui de sa voix feutrée, nue et dépouillée, peut émouvoir jusqu’aux larmes et transporter l’âme vers des hauteurs insoupçonnées.

Ce qui frappe à l’écoute de toutes ces musiques aussi variées soient-elles, ce qui prend à la gorge c’est la joie et l’énergie qui s’en dégage. L’espoir aussi, surtout l’espoir en fait. Un bel espoir lumineux et sincère qui réchauffe l’âme et le cœur. Car depuis près de deux semaines maintenant ces chants d’amour à la vie, aussi dure, aussi chienne soit elle, résonnent de manière toute particulière pour moi. Ces chroniques non jamais eu pour but d’étaler ma vie privée, mais je ne peux imaginer écrire sur la musique autrement que de manière personnelle, avec le ressenti du moment. Si ces chansons me touchent tout particulièrement depuis quelques jours c’est parce que je viens d’apprendre que ma fille est attente de la mucoviscidose. C’est difficile à accepter, difficile à réaliser alors qu’elle vient tout juste de naître. Après une telle nouvelle on voit les choses différemment. D’une certaine manière, la vie semble paradoxalement plus précieuse et cela peu paraître bien dérisoire voire futile, mais elle semble également bien plus belle et supportable en musique. Le blues et le gospel sont les musiques de l’espoir et j’en ai bien besoin en ce moment. C’est donc avec une émotion toute particulière que j’écoute à chaque fois le dernier morceau de l’album. Une version déglinguée de We Shall Overcome chantée par un enfant à la voix étrange. Ce chant contestataire résonne maintenant de manière très spéciale. We Shall Overcome : Nous vaincrons.

Oh Graveyard, You Can’t Hold Me Always est en écoute intégrale ici

retrouvez également cette chronique sur SUBSTANCE-M

 

 

Oh Sweet Sweet Jane

2 novembre 2011