Archive for novembre 2010

Life on Earth – Edward Williams (Trunk, 2009)

22 novembre 2010

Après avoir parlé précédemment de la bande originale de Blood on Satan’s Claw, j’ai eu envie de me replonger dans les autres publications du label Trunk et tout particulièrement ce disque qui regroupe des musiques utilisées pour Life On Earth, une série de 13 documentaires diffusés en 1979 sur la BBC, retraçant l’évolution de la vie sur notre planète.

Encore une fois c’est un véritable travail de sauvegarde qu’a accompli Johny Trunk (qui dirige le label). Ces musiques n’avaient jamais été publiées, hormis à 100 exemplaires pressés par  Edward Williams et donnés en cadeau aux personnes impliquées dans le projet. Je ne rentrerai pas dans les détails de l’histoire de la résurrection de cet album car Johny Trunk le fait lui-même très bien ici.

Je n’ai jamais vu ces documentaires mais je ne peux qu’imaginer ô combien les images devaient être magnifiées par la musique d’Edward Williams. Elle fait la part belle au merveilleux et au fantastique. Elle évoque aussi bien la puissance et le souffle de la vie, que le mystère qui s’en dégage.

Je pense par moments à Casse-Noisette de Tchaikovsky, en plus années 70 j’en conviens. J’imagine de fragiles et curieuses créatures effectuant un ballet gracieux. La musique d’Edward Williams possède ce même sens de la facétie et du merveilleux, teinté d’une légère insouciance. Elle dégage par moment une joie douce à laquelle se mêlent la farce et le mystère, mais elle sait également se faire inquiétante. Dans les deux cas, la musique traduit toujours la fascination que peut exercer la nature sur L’Homme.

C’est peut être bien là sa force quand il s’agit de rendre compte de l’énigme de la vie. Elle ne se fait jamais abstraite car l’Homme s’y projette irrémédiablement. La fantaisie et le mystère ne semblent pas avoir de limites mais ils sont toujours perçus à travers le prisme des émotions humaines.
http://www.youtube.com/watch?v=RaogWgXtVe8&feature=related

Marc Wilkinson, Blood on Satan’s Claw (Trunk, 2007)

15 novembre 2010

Pendant longtemps je n’ai pas vraiment prêté attention aux musiques de film ; la seule exception notoire étant la B.O. de Dead Man par Neil Young. Je n’avais plus généralement pas prêté attention à tout ce qui n’était pas un album au sens strict.

J’ai depuis entre autres découvert le label Trunk, grand spécialiste de la résurrection de musiques tombées dans l’oubli, et parfois même jamais éditées, qui m’a ouvert la voie vers de nouveaux territoires jusqu’alors inconnus.

C’est précisément le cas de cette bande originale du film de Piers Haggard, composée en 1971 par Marc Wilkinson, qui n’avait jusqu’alors jamais vu le jour en support audio. Le seul moyen d’entendre la musique était de voir le film. Je n’ai malheureusement pas eu cette chance mais je me plais à imaginer que son atmosphère doit être proche de celle de The Wicker Man dont la B.O. est elle aussi éditée par Trunk.

La musique de Blood on Satan’s Claw est aussi belle qu’effrayante. Elle exhale le mystérieuse.

Le thème principal sonne comme une vieille mélodie folklorique anglaise. Sous ses atours champêtres il laisse cependant entrevoir une campagne reculée empreinte d’obscurantisme. Derrière la prairie verte se trouve un bois sombre et terrifiant. La peur, le diable, les cérémonies païennes, les tensions sexuelles suintent de la partition de Marc Wilkinson. Une menace sournoise emplit l’air. Une peur rampante rode dans les fourrés. Quelque chose de vraiment bizarre se trame ici. L’angoisse monte petit à petit qui se repend insidieusement.

La bande originale de Blood on Satan’s Claw peut s’écouter du début à la fin tel un album. Elle ne sonne jamais comme un amas de courtes séquences musicales illustrant différentes scènes du film. Le thème principal revient constamment de manière lancinante tantôt lumineux, tantôt terrifiant et donne une cohésion à l’ensemble. Grâce aux arrangements subtils et magnifiques de Marc Wilkinson, la musique n’est jamais monotone mais pleine de nuances. Les ambiances s’enchaînent, imprévisibles même après plusieurs écoutes. Les sentiments d’angoisse succèdent aux soulagements. L’ombre alterne avec la lumière.

Si vous avez le moindre intérêt pour les musiques de film, l’écoute de cette B.O. est vivement conseillée. Si comme moi vous pensiez ne rien en avoir à faire essayez donc quand même, vous pourriez changer d’avis.

Brian Eno – Another Green World (Island, 1975)

12 novembre 2010

Vers la fin des années 90, au hasard d’un dépôt vente, c’est avec Another Green World que j’ai découvert la musique de Brian Eno. Je ne sais plus ni quand ni comment mais j’avais entendu parler de lui quelque part ; sûrement en des termes élogieux. J’avais retenu son nom et je voulais en savoir plus. Intrigué je sors le vinyle du bac dans lequel il se trouvait et je commence à l’inspecter. En lisant les crédits sur la pochette arrière je tombe nez à nez avec les noms de Phil Collins (j’aime la première mouture de Genesis) et de John Cale (le premier album du Velvet Underground est le plus grand album de rock de tous les temps). Vendu. Il n’en fallait pas plus pour me donner envie de découvrir cet album et de l’acheter sans même en avoir entendu une seule note. Le même jour je repartais avec Faith de The Cure (groupe que je ne connaissais pas encore bien, hormis quelques singles que je n’aimais que moyennement), en espérant très fort qu’il ne sonne pas trop années 80 (je ne supportais pas les sons synthétiques de cette décennie), mais cela est une autre histoire.

Pendant longtemps j’ai écouté Another Green World par curiosité. Il me titillait mais je ne suis pas sûr que je prenais vraiment plaisir à l’écouter. Pas un plaisir facile et passif en tout cas. Je voulais percer son mystère. J’allais à la musique, ce n’est pas elle qui venait à moi.

Aujourd’hui encore la musique de Brian Eno reste à part. Je me demande toujours comment il a réussi cela. Tous les titres d’Another Green World, y compris les instrumentaux, sonnent de manière bancale. Ils commencent et finissent en queue de poisson et leur déroulement est incertain. C’est comme si Brian Eno forçait la musique à entrer dans un moule trop étroit pour elle. Tous les éléments de la pop sont là, rythmes, mélodies, chants, mais d’une certaine manière ils refusent de se mélanger, de se laisser dompter. Le sentiment de confusion est de plus renforcé par la brièveté des titres. Très vite on ne sait plus où on en est. On est perdu, on ne sait plus quel titre on est en train d’écouter. Par moments l’album ressemble à une collection de vignettes.

Music For Airports, qui sortira 3 années plus tard et que Zawinul/Lava annonce déjà, est un album lumineux. Les compositions sont comme suspendues dans une brume nimbée de lumière. A contrario Another Green World baigne dans un clair obscure, hésitant entre rêve et désillusion. Il est troublant et doucement inquiétant. Sous ses atours « trop » calmes, il ne sonne pas vraiment apaisé. On devine une tension sous-jacente enfouie en profondeur. Il est comme en proie au doute. Sa nature schizophrénique, une moitié chantée, l’autre instrumentale, ne fait que renforcer ce sentiment.

L’album sonne à la fois étrange et familier. Pop mais pas trop. Les structures habituelles d’une chanson sont là mais pas tout à fait. I’ll come running est peut être le titre le « normal » de l’album, mais qui d’autre qu’Eno aurait incorporé des rythmes de castagnettes à un morceau pop ? La musique paraît simple mais est en réalité complexe. Le trait est épuré comme une estampe japonaise mais la musique foisonne de détails. L’album me fait penser à un casse tête minutieux. Tout se tient, tout s’emboîte mais on ne sait pas vraiment comment, comme par exemple Over Fire Island et la basse insensée de Percy Jones.

Ce qui me frappe aujourd’hui, beaucoup plus qu’à l’époque, ce sont les textures très travaillées. Il m’aura fallu du temps (et la découverte de pas mal d’autres albums) pour prendre conscience de leur richesse. Le traitement des sons est époustouflant : la guitare de Robert Fripp sur St. Elmo’s Fire est insensée, The Big Ship sous influence Krautrock est beau à pleurer et Little Fishes est d’une délicatesse inouïe.

Another Green World reste l’un des albums « rock » les plus étrange que je connaisse. Son étrangeté ne réside pas dans une folie ou une bizarrerie outrancière. Elle est insidieuse, difficile à pointer du doigt. J’ai du mal à le cerner. Il me résiste. Il est au carrefour de beaucoup de choses. Sa forme est incertaine. Il est inconfortable mais j’y reviens constamment.

PS : En écrivant cette chronique je n’ai pu m’empêcher de faire un rapprochement entre les musiques de Brian Eno et de Ducktails (entre autres musiciens « hypnagogiques »). Pas au niveau du « souvenir d’un souvenir » mais par rapport à la manière de manier les structures et les formes pop. La musiques de Brian Eno n’est pas aussi ensoleillée que celle de Matthew Mondanile, elle n’a pas de références kitsh non plus. Elle est bien plus précise, ciselées, savante. Elles ont  cependant  toutes deux un rapport tordu avec la forme pop qu’elles prennent un malin plaisir à pervertir – Pop génétiquement modifiée ? – Je ne sais pas si Matthew Mondanile a revendiqué une quelconque influence de Brian Eno mais ce rapprochement m’a donné encore plus envie de voir comme la musique de Ducktails va évoluer.

En écoute ici.

Catherine Christer Hennix – The Electric Harpsichord (Die Schachtel, 2010)

6 novembre 2010

Catherine Christer Hennix a étudié auprès de La Monte Young et de Pandit  Pran Nath. Elle a enregistré The Electric Harpsichord en utilisant des claviers accordés sur le principe de l’intonation juste et 2 boîtiers delay. Il aura fallu attendre 34 ans pour pouvoir enfin entendre cette pièce jouée une seule fois en live en 1976.

Ce qui compose The Electric Harpsichord m’échappe totalement. Dans le livret qui accompagne le CD, Catherine Christer Hennix expose assez longuement les principes mathématiques à la base de sa musique [il y a également deux poèmes de La Monte Young et un essai d’Henry Flynt]. Je n’y ai rien compris. Je ne sais même pas de quoi il est question. Si un expert en Mathématiques lit ce blog et qu’il a le temps et la bonté de me donner quelques explications je lui en saurai gré.

Je ne sais pas non plus quelles sont les parts de prédétermination et d’improvisation, ni la proportion entre rigueur mathématique et liberté artistique dans The Electric Harpsichord. Difficile en tout cas de le savoir à la simple écoute.

The Electric Harpsichord vous happe, vous envoûte. La musique est d’une pureté cristalline. Elle semble provenir d’un autre monde. Elle est un mystère. Non pas un mystère qui intrigue mais un mystère insondable que l’on accepte avec la force d’une évidence.

La tonalité générale est très belle. Lumineuse, presque aveuglante. Elle pourrait être sereine mais une certaine perfection inhumaine s’en dégage.

Il y a quelque chose de fluide et de chaotique dans cette musique. Elle est un fleuve qui scintille au soleil. L’immobilité en est absente. Elle s’organise en une suite de vagues successives. Le flot des notes semble en perpétuel recommencement. Les flux et reflux se mêlent aux notes tenues. Les attaques et résonances ondulent inlassablement. Les densités et les phases esquissent des motifs changeants. Des mélodies se tissent en filigrane, aussitôt apparues, aussitôt disparues.

Contrairement à de nombreux enregistrements que l’on peut étiqueter « drone », dans The Electric Harpsichord le temps ne semble pas suspendu. Il n’existe plus. Des univers semblent naître et mourir en douceur à chaque seconde. Toute temporalité est abolie. The Electric Harpsichord est hors d’échelle.

Chaque fragment, chaque son, est perceptible. Leur nombre donne le tournis. Ils saturent l’espace et semblent se démultiplier à l’infini, tantôt images de l’ensemble, tantôt détails, comme une figure fractale, une mise en abîme.

The Electric Harpsichord dure à peine 25 minutes mais pourrait durer une éternité. L’écouter est comme se retrouver seul dans un labyrinthe en mouvement dont les murs seraient des miroirs qui ne vous renverraient pas votre image.

Réédition de l’année, assurément.

Des extraits en écoute ici et

Vibracathedral Orchestra – Live (Matching Head, 1999)

3 novembre 2010

Face A _ Leeds 21-05-99

Ce live enregistré à Leeds commence étrangement par des accords de guitare qui semblent tout droit provenir de la côte ouest américaine durant années 60 ; comme volés aux Jefferson Airplane ou au Greatful Dead. Après quelques minutes la musique se stabilise en un ensemble de larsens. Le genre de larsens que Sonic Youth joue dans mes rêves érotiques : le final de The Diamond Sea ralenti 10 fois et ondulant sensuellement comme la mer de diamant en question. Lentement ils s’épaississent jusqu’à former une muraille épaisse, inébranlable. Strates après strates, elle se densifie, menaçante et protectrice à la fois. Quand la batterie fait son apparition, c’est un grand moment de rock chaotique et sauvage qui explose aux oreilles de l’auditeur. Imaginez toutes les fins de concerts les plus cataclysmiques de Nirvana condensées en quelques minutes et qui, le déluge passé, se transforment en un long drone flottant que vient à peine troubler une mélodie lointaine aux accents moyen-orientaux.

Face B _ Newcatles 04-06-99

Durant toute la première partie de ce live il se passe au choix, des milliers de choses ou rien du tout. Si d’une certaine manière les sonorités me font penser au psychédélisme cramé et pesant de l’album More de Pink Floyd, la musique est en revanche uniquement composée de sons tenus et de notes flottantes. Les membres du Vibracathedral Orchestra construisent petit à petit, en prenant leur temps, une musique enveloppante, en très léger mouvement, au bord de l’immobilité. Elle s’intensifie graduellement jusqu’à exploser en un déluge extatique de larsens chauffés à blanc. Rarement le groupe aura été aussi violent et abrasif, amenant sa musique sur les territoires dévastés du rock bruitiste. C’est intense, très beau et une nouvelle fois je pense à la mer de diamant de Sonic Youth. Comme cette explosion magistrale ne saurait être la fin, son écho se prolonge pendant de longues minutes  magnifiques et hypnotiques, empruntant au passage des sonorités et des rythmes à des musiques traditionnelles et folkloriques imaginaires.

Ces deux concerts aux structures assez similaires démontrent une fois de plus que le Vibracathedral Orchestra est un groupe d’une importance capitale. Un des rares qui possède ce souffle, cette étincelle vitale allumée par John Coltrane et Albert Ayler dans les années 60.