En 2006, après avoir découvert Josephine Foster, je ne sais plus très bien comment, je m’étais juré que la première fois que j’écouterai Hazel Eyes I Will Lead You, son premier album sorti chez Locust, ce serait en vinyle. Il y a des albums que l’on n’a pas envie de découvrir en mp3. Alors j’ai attendu 5 ans. 5 années de batailles sur ebay à espérer être le denier enchérisseur. Les lois du marché sont ce qu’elles sont et depuis quelques mois les prix ont ENFIN été divisés par 2 voire 3. A titre d’information j’ai eu ma copie pour 25€ et il y a quelques temps j’en avais vues certaines partir à plus de 70€… Même les vendeurs sur Discogs (autre haut lieu de spéculation) sont devenus raisonnables. Ah, les vertus de la patience… Enfin je n’ai surtout pas été assez rapide au départ quand je remettais à plus tard l’achat de l’album quand il n’était pas encore épuisé.
Ca n’a pas toujours été facile de ne pas craquer et d’aller faire un tour sur Soulseek pour télécharger l’album. C’est un peu comme l’abstinence avant le mariage, il faut de la conviction et de la volonté (enfin, j’imagine). Cette lubie n’est peut être pas totalement vaine car elle a valeur de symbole et a au moins le mérite de replacer la quête et la durée au cœur de la construction d’une culture musicale ; alors qu’aujourd’hui tout est accessible tout de suite (ce qui est une bonne chose tout de même, entendons-nous bien). Oui mais sinon, au final cela a-t-il apporté quelque chose de plus de poser pour la première fois les oreilles sur l’album en vinyle ? Cela a-t-il rendu la musique meilleure ? Peut être pas, mais au moins ça m’a fait une intro (tout ça pour ça…).
Peut être pas, mais peut que si, car du coup Hazel Eyes I Will Lead You a à mes yeux l’aura de ces albums rares et obscures que l’on chéri comme des trésors, des pépites connues de peu et pour lesquelles on est partagé entre l’envie de les garder pour soi et la volonté de les faire découvrir à la terre entière. J’ai visiblement tranché.
Sorti en 2005 en pleine vague « freak-folk », Hazel Eyes I Will Lead You est le produit de son temps, mais comme tous les grands disques, il est bien plus encore. Je ne lui connais pas d’équivalent, juste quelques liens de parentés. En tout cas, en ce qui me concerne il peut se tenir fier et droit aux côtés de ses illustres aînés, ces albums d’acid folk magiques et obscurs des années 6O et 70, dont, je le sais, il me reste encore tant à découvrir.
Josephine Foster chante et s’accompagne seule, entre autre, à la guitare, au ukulélé, à la harpe, au tambura et au kazoo. L’instrumentation est plus étoffée que sur ces précédents CDr autoproduits. La production y est également plus léchée, bien que le son garde un côté « lo-fi », légèrement saturé – fait à la maison – qui sied parfaitement à la musique.
La grande force de Hazel Eyes I Will Lead You réside dans la voix si particulière de Josephine Foster. Elle ne plaira pas à tout le monde mais c’est très bien comme ça. Son chant haut perché se situe quelque part entre la comptine folk et le lied. Il est théâtral et rayonne sur chacun des 14 titres qui composent l’album. La belle fait des manières mais c’est là que résident tout son charme et sa singularité. Les extravagances vocales lui vont bien.
Le premier titre, The siren’s admonition, annonce cette primauté de la voie. Sans elle la mélodie frustre de la guitare et la tambura qui grince auraient pu être un peu sèches. Elles l’auraient en tout cas sûrement été dans des mains moins habiles mais Jospehine Foster sait rendre la rudesse délicate et attachante. Sur Hazel eyes I will lead you, le deuxième morceau, la harpe fait son apparition et le résultat est splendide. On pense volontiers à Joanna Newsom en plus brut et les orchestrations ciselées en moins.
Tout au long de l’album Josephine Foster nous montre qu’elle n’a pas son pareil pour transformer une chanson élaborée à l’aide de deux accords branlants en complainte bouleversante, Stones throw from heaven en est un parfait exemple.
L’album est cependant loin de jouer sur le seul registre de l’émotion. Au fil des chansons Josephine Foster trimbale également son grain de folie et sa joie exubérante qui font de Good News ou Celebrant’s Song des petits moments de bonheur acidulé. Parfois cette joie se teinte d’une fantaisie toute enfantine et on a l’impression d’être face à une comptine dégantée issue d’une 78T poussiéreux comme sur Hominy Grits, ou Crackerjack fool.
Josephine Foster sait également se faire grave et The pruner’s pair tranche par son ambiance sombre et lugubre. Peut être pas aussi noir, The way is sweetly mown baigne quant à lui dans une atmosphère trouble et nocturne pas très éloignée de l’univers de Lau Nau.
Si tout les titres de l’album sont splendides, les deux joyaux restent tout de même, le sublime Trees lay by mais surtout There are eyes above. Sa mélodie rêche mais gracile, emprunte de mélancolie est un parfait écrin pour la voix de Josephine Foster qui aura rarement été aussi fragile et délicate – sur le fil. Et quant elle s’envole, difficile de ne pas frémir devant tant de grâce.
J’espère qu’un jour on parlera de Hazel Eyes I Will Lead You comme on parle aujourd’hui de Another Diamond Day ou It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You Best. Il le mérite vraiment.
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