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Tamiko Nishimura – Eternal Chase (Grafica, 2012)

15 juillet 2015

Les photos d’Eternal Chase ont été prises par Tamiko Nishimura lors de voyages qu’elle a effectués dans le nord du Japon entre 1970 et 1983 alors qu’elle avait entre 20 et 30 ans.

Photographies de jeunesse, de liberté – sur la route. Eternal Chase est un livre sur le voyage, voyage physique et mentale, d’un lieu à l’autre, de soi à soi, en posant sur le monde un regard introspectif. Mouvement, attente, repos, fatigue, ennui, exaltation, ce carnet de route visuel s’ancre dans la durée, la temporalité longue, celle du voyage avec ses hauts et ses bas, ses pauses, ses différentes vitesses. Déplacements en train, en bus, en bateau, déambulations guidées par le hasard, ruelles sinistres, horizons ouverts, cafés, halls d’attente, sont les séquences à partir desquelles Tamiko Nishimura construit la narration de son périple à travers le Japon. Difficile de ne pas penser à Kérouac et ses pérégrinations exaltées à travers l’Amérique. On trouve ici le même souffle épique, la même énergie, la même soif d’émerveillement, le besoin de se perdre, de se confronter au monde, de se diluer, d’aller seul, solitaire, ce besoin irrépressible de voir, cet appétit de voyage.

De nombreuses scènes de rue ou paysages sont captés à travers une vitre de train ou de bus ou alors saisies comme lors d’errances hallucinées. Ces scènes fantomatiques et irréelles rappellent les visions cauchemardesques de Kerouac à Big Sur : la plage, le bois, la mer, le pont. La frontière entre réel et fantasmé s’amenuise et s’effrite. Ce n’est pas tant un journal de bord chronologique, relatant faits et rencontres, qu’un journal intime lassant entrevoir des états d’âme, des impressions, des sensations, qui prend forme au fil des pages. Des silhouettes fantomatiques et des ombres qui peuplent les images, on ne saura rien, on n’en distingue le plus souvent à peine les visages. Tamiko Nishimura ne cherche pas à capter la réalité mais à saisir un sentiment intérieur. De l’extase, à la menace, à l’ennui, la palette des sensations convoquées est riche.

Noir et blanc contrastés, horizon bancal, pellicule sous-exposée, malmenée, grain omniprésent, flou volontaire… esthétiquement, on est assez proche de Provoke (Tamiko Nishimura a été l’assistance de Daido Moriyama au début des années 70). Cependant dans le fond on est bien loin des mâles préoccupations de Moriyama ou de Nakahira. L’atmosphère n’est pas toxique, l’air n’est pas irrespirable. On se trouve ici sur le versant féminin de « l’esthétique Provoke ». Le propos est moins politique, il est plus tendre, en témoigne les nombreuses images d’enfants. De même le livre comporte beaucoup d’images de femmes, mais à aucun moment elles n’apparaissent comme des objets sexuels ou de désir. Il ne faudrait toutefois pas croire que les photos de Tamiko Nishimura soient douces, elles sont âpres et il s’en dégage une impression de catastrophe imminente.

L’objet livre en lui-même est également très beau. Le papier est légèrement granuleux, l’impression est très belle, les noirs profonds se rapprochent de l’héliogravure. La reliure est agréable : les doubles pages s’aplatissent parfaitement ce qui minimise fortement la coupure des images par la gouttière centrale. On entre ainsi parfaitement dans les photos, la lecture devient immersive et on se laisse absorbé par la beauté du grain.

Eternal Chase est vraiment un livre magnifique. Je suis vraiment surpris qu’il n’ait pas fait plus parlé de lui à sa sortie et qu’il ne se soit pas retrouvé dans une multitude de tops de fin d’année. D’une certaine manière tant mieux, il est toujours disponible et ne fait donc l’objet d’aucune spéculation.

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