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Emeralds – Allegory of Allergies (Weird Forest, 2009)

10 janvier 2011

Alors que je me replonge dans Allegory of Allergies avec bonheur, deux pensées me viennent immédiatement à l’esprit :

1- Que de chemin parcouru depuis cet album. Difficile de croire que c’est bien le même groupe qui a enregistré Does it look like I’m Here ?

2- J’avais oublié combien la musique d’Emeralds est belle.

Ce double vinyle est en fait la réédition d’une cassette sortie en 2007 sur God Of Tundra. Tout comme les cassettes, les vinyles ont l’avantage d’avoir différentes faces et ainsi de structurer un album. Deux vinyles, 4 faces autant de moments distincts.

La première ne comporte qu’un morceau : Nereus (Spirits Over The Lake). Il s’agit d’une longue plage apaisée durant laquelle, la guitare de Mark McGuire se promène sur des nappes fluctuantes de synthétiseurs que n’aurait pas renié Brian Eno. C’est beau et délicat comme de la musique de chambre, on croirait même parfois entendre un violon. Le son est chaud et profond, presque étrangement boisé et quelques notes suffisent à nous immerger complètement.

La seconde face comporte 3 titres. Snores est tout aussi éthéré que le précédent morceau. Il commence par quelques drones lumineux mais bascule rapidement vers des territoires plus sombres et angoissants. Il ouvre la voie à House Of Mirrors et à ses tourbillons de résonances dorées qui peinent à percer à travers le brouillard bleuté qui les entoure. Comme sur un palimpseste, une mélodie à demi effacée refait surface de manière fantomatique, à peine couverte par le souffle audio d’une bande magnétique en décomposition. Il y a du Tim Hecker ici, et mon utilisation du terme palimpseste n’est pas fortuite. L’expérience est saisissante. On se retrouve embarqué dans un monde flottant aux multiples reflets, désorienté mais serein. Mistakes clôt la face avec ses drones graves et profonds que viennent délicatement colorer des bourdonnements synthétiques. Encore une fois on hésite entre sensation de lourdeur et d’apesanteur. Les drones massifs semblent flotter avec légèreté dans un espace infini et dense.

Sur la face C Underwater Mountain se tient tel un trou noir. Le morceau est un monolithe sonore d’une telle densité qu’il absorbe tout sur son passage. C’est un grondement sourd et sans fond qui dégage une force tellurique. Il en émane des harmonies noires aux teintes d’ombres. Petit à petit le néant se colore et des geysers de bruits blancs jaillissent. Les ondulations sombres du début se changent en ragas sidéraux. Underwater Mountain est un tour de force, un moment de bravoure à la puissance colossale qui laisse l’auditeur exsangue et transi, le sang bouillonnant et le souffle haletant.

Dernière face. Arbol Del Tulei a la lourde tâche de succéder à Underwater Mountain. Comme rien ne pourrait rivaliser en puissance avec le titre précédant, les Emeralds font le choix judicieux d’aller à l’opposé. Une fois encore un long drone ouvre le bal. Celui-ci est gracieux et nocturne. Des accords délicats et comateux tissent ensuite l’ébauche d’un blues futuriste qui aurait pu servir de bande son à Blade Runner ou de sample à Tricky pour Pre-millenium Tension. Entre angoisse et mélancolie, la musique s’étire de longues minutes avant que des enregistrements de pluie ne fassent leur apparition. Le mariage entre les field recordings et les nappes synthétiques est troublant. On est pris d’une sensation d’irréalité. On ne sait plus de quel côté du miroir on se trouve. La musique semble soudain échapper aux musiciens et acquérir une existence propre. Elle promène alors son spleen dans un univers parallèle avant de s’éteindre doucement.

Pour tenter de suivre le rythme effréné des productions musicales actuelles, j’ai eu un peu tendance à négliger Allegory of Allergies. C’était bien sûr une erreur. Les écoutes récentes m’ont rappelé à quel point cet album est énorme. Cela dit, j’ai ainsi eu la chance de le découvrir une seconde fois, ce qui est plutôt pas mal.

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